L’arrivée du numérique est peut-être ce qui s’est produit de plus important pour les entreprises aujourd’hui. Pourtant, de nombreuses sociétés n’exploitent toujours pas le potentiel de la numérisation. Dans leur livre «Gagner avec le digital» (éditions Diateino), George Westerman, Didier Bonet et Andrew McAfee expliquent ainsi que les «Maîtres du digital» – soit les entreprises qui atteignent, grâce aux technologies numériques, des niveaux supérieurs de profits, de productivité et de performance – existent, mais sont rares.

En Suisse, elles font figure d’exception, en particulier chez les PME. C’est du moins le constat d’une étude réalisée par la société d’audit et de conseil EY. Selon le communiqué de presse diffusé à ce sujet, les technologies numériques jouent un rôle moyen à très grand dans le modèle d’affaires pour près d’une entreprise sur deux (45%). Pour les entreprises interrogées restantes, comptant entre 30 et 2000 collaborateurs, le rôle des technologies numériques est marginal, voire inexistant. Seules les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions de francs semblent avoir compris les enjeux de la quatrième révolution industrielle en intégrant davantage la numérisation dans leur modèle d’affaires.

Gare aux situations acquises

Comment expliquer le désintérêt des PME Suisses pour la numérisation? De nombreuses sociétés ne perçoivent pas la nécessité de changer. «On entend souvent les entrepreneurs dire: «on a traversé d’autres guerres et ce n’est pas le numérique qui va changer quelque chose» ou encore «j’espère que vous n’allez pas tomber dans la folie du numérique», analyse Francesco Di Pasquale, directeur du CRPM. C’est oublier que de nombreux domaines d’activité qui se croyaient très épargnés par le numérique ont été disruptés, ubérisés, désintermédiés ou tout simplement pulvérisés par une multitude de jeunes pousses plus agiles et innovantes.» Autrement dit, les entreprises meurent quand leur modèle économique connaît un tel succès qu’il étouffe toute velléité de remise en question. Comme le dit le Joker dans Batman: «cette ville a besoin d’un ennemi».

D’aucuns se souviennent encore de Kodak, l’ex-géant de la photo dont les boîtes de pellicule jaune et rouge étaient reconnaissables entre toutes. En 2012, après avoir profité d’un statut de quasi-monopole pendant des années, l’entreprise avait fermé 13 usines en huit ans, 130 laboratoires photos et réduit ses effectifs de 64 000 à 17 000 salariés. Pour François Sauteron, auteur de La Chute de l’empire Kodak, le numérique n’a pas été pris au sérieux par les responsables de l’entreprise. Rarement mauvaise appréciation d’un tournant technologique n’aura coulé aussi rapidement un groupe aussi puissant.

Autre exemple parlant: les services postaux. «Depuis une vingtaine d’années, les personnes privées comme les sociétés ont accès à de nouveaux canaux de transmission des textes, depuis les emails jusqu’aux réseaux sociaux, écrivent George Westerman, Didier Bonet et Andrew McAfee. Mais l’événement n’a pas été heureux pour tout le monde. Les services postaux ont assisté, dans le moins mauvais des cas, à une lente contraction de leur cœur de métier: la distribution physique des lettres». En Australie pour ne citer que cet exemple extrême, le nombre de lettres a baissé de 17% entre 2009 et 2012, entraînant une perte de chiffre d’affaires de 20% pour Australian Post, qui est passée, en une génération, de 100% à moins de 1% du marché des communications écrites. Ailleurs (chez les postes danoises et suédoises notamment), un grand nombre de postes se sont lancées dans les services électroniques (E2E) pour faire face à la bascule des communications vers le digital.

Pour Jean-Marc Tassetto, co-fondateur de Coorpacademy et ancien directeur général de Google France, un entrepreneur qui affirme que son entreprise peut se passer du digital n’est pas en phase avec la société de son temps. «Aujourd’hui, les PME numérisées sont plus performantes et plus exportatrices que les autres».

Ces propos rejoignent les analyses de George Westerman, Didier Bonet et Andrew McAfee. «Nous assistons à une bascule radicale des modèles d’affaires, bascule alimentée par la conjoncture entre Internet et une nouvelle génération d’utilisateurs connectés. […] En matière d’impact du numérique sur les entreprises, nous n’avons encore rien vu. Les innovations et les bouleversements de la décennie écoulée sont rien moins que stupéfiants mais, à côté de ce qui se prépare, il font figure d’exercice d’échauffement.»

Parlez-vous numérique?

Comment enclencher la transformation numérique? Par où commencer? Certains experts mentionnent la crainte qu’inspire Internet comme le premier frein à l’acculturation numérique des entreprises. «Un phénomène que l’on ne comprend pas fait peur et il est souvent plus facile d’adopter la politique de l’autruche, dit Jean-Marc Tassetto. Le savoir s’impose pourtant logiquement comme le remède contre toutes les peurs.»

Pour remédier à cette désinformation, Coorpacademy a mis au point une formation en ligne dédiée à la numérisation, accessible sur le site coorpacademy.com. Inspirée du récent développement des MOOC (Massive Open Online Courses), les 200 vidéos proposées durent environ 2 minutes afin de maximiser la concentration des apprenants, et comprennent plus de 1680 questions telles que: Qu’est-ce que le «real-time bidding»? Comment accéder au deep web? Pourquoi le cloud se nomme-t-il le nuage? Comment exister sur les réseaux sociaux? Ou encore quelle a été la décision décisive prise par Yahoo! et comment définit-on le big data?

«L’objectif de la formation est de créer une langue commune», explique Jean-Marc Tassetto. Ainsi, de la même manière que la lingua franca, cette langue véhiculaire composée de français, d’italien et d’espagnol, permettait aux matelots et marchands du Moyen Âge de s’entendre indépendamment de leur nation, tous les salariés d’une entreprise seront en mesure de parler, au même rythme, la même «langue». «Aujourd’hui, il ne suffit plus d’un expert du digital dans l’entreprise, mais que l’entreprise parle digital».

Pour susciter l’engagement et la motivation des participants, Coorpacademy a «gamifié» la plateforme. Les participants peuvent y perdre des vies mais aussi lancer des défis et des «battles». Sur le forum, ils ont la possibilité de poser des questions et reçoivent si besoin l’aide d’un coach. Lorsqu’ils atteignent un certain niveau de connaissance, ils deviennent coachs à leur tour. «De ce fait, on introduit la notion d’apprentissage par les pairs, une notion pédagogique très puissante», conclut Jean-Marc Tassetto.


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