Il arrive parfois qu’un individu qui se donne un but précis soit incapable de l’atteindre alors qu’il a toutes les ressources suffisantes. Charisse Nixon a souhaité sensibiliser sa classe à cette réalité. Au cours d’une expérience conduite en 2008, cette enseignante a invité ses élèves à trouver les anagrammes des mots BAT, LEMON et CINERAMA, dont les solutions étaient, respectivement, TAB, MELON et AMERICAN, par ordre croissant de difficulté.

Chaque fois qu’ils avaient la réponse, les élèves étaient invités à lever la main. Trois élèves de la classe étaient toutefois piégés avec une copie dont les deux premières anagrammes n’avaient pas de solution (WHIRL, SLAPSTICK). De façon peu surprenante, lorsque ces élèves voyaient le reste de la classe réussir alors qu’ils avaient échoué, ils manquaient la troisième anagramme (CINERAMA), pourtant à leur niveau. Autrement dit, ils s’étaient convaincus qu’ils n’avaient pas les capacités pour réussir l’exercice.

Une série d’échecs brise le moral

Comment expliquer ce phénomène? Dans Libérez votre cerveau (Ed. Robert Laffont), Idriss Aberkane rappelle que «notre cerveau fait peser nos échecs passés sur nos tentatives futures. Ainsi, si une série de petites victoires faciles donne élan à notre succès, une série d’échecs brise notre moral». En somme et comme le dit avec justesse le psychologue Idries Shah, «vous avez peur de demain? Pourtant, hier est encore plus dangereux».

Cette règle est bien connue en géopolitique. «Bismarck, avant de s’attaquer à la France, commença par galvaniser ses armées en défaisant le Danemark. Massoud forma ses groupes de combat en Afghanistan en leur proposant d’abord de petites victoires accessibles.»

Le poids du passé

Hal Elrod, auteur du best-seller Miracle Morning, exprime la même idée. «Notre subconscient est équipé d’un rétroviseur à travers lequel nous revivons et recréons en permanence notre passé. Nous croyons à tort que nous sommes toujours la personne que nous étions. En nous référant aux limites de notre passé, nous empêchons ainsi notre potentiel actuel de s’exprimer. Résultat: nous filtrons chaque choix que nous faisons en fonction des limites fixées par nos expériences passées. Nous souhaitons nous offrir une meilleure vie, mais il arrive que nous soyons incapables de la percevoir autrement qu’à travers ce qu’elle nous a réservé jusqu’à présent.»

Ainsi, à l’instar des élèves de Charisse Nixon, de nombreuses personnes, parce qu’elles ont échoué à un examen quelconque, s’estiment définitivement vouées à des tâches subalternes et prennent le chemin d’une vie médiocre. Elles abandonnent au lieu de prendre un nouveau départ, dans la même direction ou, s’il le faut, dans une nouvelle direction. Une recherche d’emploi qui se solde par des échecs systématiques peut également, à terme, éteindre toute combativité pour retrouver du travail.

Fait inquiétant, une dizaine de minutes suffisent pour induire l’impuissance apprise qui est au fond une «cannot-do» attitude, par opposition à l’expression nord-américaine «can-do attitude», comme le démontre l’expérience conduite par Charisse Nixon.

Redécouvrir le pouvoir de l’ignorance

Comment se sort-on des situations dans lesquelles les épreuves que nous affrontons tendent à détruire notre confiance en nous? «Il est nécessaire d’arrêter de scruter son rétroviseur et commencer à accepter ce paradigme: mon passé n’est pas égal à mon avenir», répond Hal Elrod. Henri Michaux prodigue, quant à lui, le conseil suivant: «N’apprends qu’avec réserve. Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre ce que, naïf, soumis, tu t’es laissé mettre dans la tête – innocent! – sans songer aux conséquences.»

Un conseil qui fait écho aux propos de Fabrice Midal, qui nous invite à redécouvrir le pouvoir de l’ignorance. Dans son livre Foutez-vous la paix! Et commencez à vivre (Ed. Flammarion), il cite l’exemple du bourdon. «Selon les lois de l’aérodynamique, le bourdon ne peut pas voler: le rapport mathématique entre sa tête, trop grande, et ses ailes, trop petites, l’empêche de soutenir son corps en l’air. Mais le bourdon ne le sait pas: c’est pourquoi il vole.» Ou comme l’exprime Mark Twain: «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait», une citation qui pourrait être complétée par une autre de ses maximes: «Tout ce dont nous avons besoin pour réussir dans la vie est l’ignorance et la confiance.»

Malheureusement, le pouvoir de l’ignorance ou de l’oubli nous manque cruellement à nous, qui sommes des bourdons inachevés auxquels il manque la capacité d’oser, déplore Fabrice Midal. «Nous n’accordons aucun pouvoir à l’ignorance, nous la méprisons et lui opposons ce que nous estimons être notre supériorité d’humains: la capacité à tout comprendre. Si nous étions des bourdons, nous aurions d’abord réfléchi avant de nous élancer dans l’air. Et, en toute logique, nous serions prudemment restés plaqués au sol puisqu’il nous est techniquement impossible de voler. Nous aurions littéralement été prisonniers de notre cadre de pensée.»

Elle ne savait pas que c’était impossible, alors elle l’a fait

Anaya Ellic est un parfait exemple de bourdon achevé. Cette fillette a reçu en 2016, alors qu’elle n’était âgée que de 7 ans, le prix spécial Nicholas Maxim pour l’excellence de sa calligraphie. Sa particularité? Elle est née sans mains et n’utilise pas de prothèses pour écrire. Elle se munit simplement d’un crayon qu’elle coince entre ses deux bras. Son handicap ne l’a toutefois pas empêché d’avoir la meilleure écriture de sa classe. La phrase de Jean-Paul Sartre trouve ici toute sa pertinence, «l’important n’est pas ce qu’on a fait de moi; mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi».