Au travail, juniors et seniors sont à la recherche de l’harmonie
Management
AbonnéComment assurer une collaboration efficace entre différentes générations au sein d’une entreprise? Un symposium organisé jeudi à Paudex abordait cette question délicate

La coopération harmonieuse entre collaboratrices et collaborateurs de différentes générations se traduit en enjeux de taille: bien-être au travail, productivité et attraction de talents aussi bien juniors que seniors en cette période de pénurie de personnel. Mais aussi, liée à cette question d’âge plus particulièrement, la transmission du savoir, capital, de ceux qui seront bientôt à la retraite.
Advanced Alliances Academy (aaa), fondation facilitatrice de dynamiques intergénérationnelles, organisait ainsi jeudi au Centre patronal à Paudex (VD) un symposium intitulé «L’entreprise à l’heure de la Grande Transmission». Le but: donner des clefs, à travers des témoignages et expertises, aux cadres confrontés aux défis de faire travailler ensemble plusieurs générations, pour tirer le meilleur des deux mondes. «L’expertise des jeunes se joue autrement que dans la séniorité, dans le numérique par exemple – sans dire que tous sont des geeks – ou dans le fait d’amener des idées nouvelles», nous précise Valerie Wiedmer, présidente de la fondation.
Un malentendu
Si les relations ne s’avèrent pas toujours difficiles, certaines tensions peuvent en effet intervenir entre des profils d’âge différent. Silna Borter, professeure à la HEIG du canton de Vaud, s’en est fait l’écho lors d’une présentation: «Dans les entreprises, chaque génération est-elle un peuple nouveau?»
Elle rappelle d’abord avec humour qu’une génération n’a rien d’un «signe astrologique, on ne fait pas absolument partie de tel groupe parce qu’on est né tel jour», souligne-t-elle, rappelant l’existence d’autres variables qui entrent en jeu, dont le niveau de formation. «Certains contextes socio-économiques sont cependant propres à telles générations et pas à d’autres et il est vrai que nous n’avons pas les mêmes besoins à 20 ou à 50 ans.»
Lire aussi: «Les jeunes associent milieu bancaire et bons salaires»
Il existe un grand malentendu entre seniors et jeunes, selon Silna Borter: «Les premiers sont marqués par la reconnaissance de statut, l’idée de linéarité qui leur permettrait certains acquis. Pour les seconds, ce statut ne représente souvent rien a priori, ils attendent une démonstration des compétences.» Des perspectives différentes susceptibles de créer des frustrations des deux côtés.
Silna Borter avance donc certaines solutions. A commencer par l’acceptation qu’une génération n’a pas un point de vue plus juste qu’une autre. «Il faut que chacun essaie de comprendre la perception de l’autre et cherche à connaître ses valeurs, dont certaines peuvent s’avérer communes.»
Dans les deux sens
La professeure appelle à favoriser des processus sociaux de transmission intergénérationnelle comme le mentorat, le parrainage, le tutorat ou encore le tutorat inversé. «Cela ne va plus que dans un sens, chacun transmet son savoir-faire sur telle ou telle thématique. Il faut dans tous les cas oublier cette dimension autoritaire du plus vieux envers le plus jeune. Par contre, il a évidemment beaucoup à lui apprendre, en lui expliquant par exemple le fonctionnement qu’il connaît bien d’une institution compliquée. Il faut aussi accompagner les jeunes dans des prises de responsabilités», propose-t-elle.
L’experte fustige cependant en marge de sa présentation «la segmentation marketing liée aux aspirations des générations. Par exemple, l’idée que les jeunes auraient besoin d’un travail intéressant. N’est-ce pas le cas à tous les âges?» ironise-t-elle. Jérôme Cosandey, directeur romand et responsable de recherche en politique sociale chez Avenir Suisse, est à cet égard d’un avis similaire: il déconseille les politiques de ressources humaines propres à certaines générations et pas à d’autres: «Aider à concilier vie privée et vie professionnelle par exemple doit être une problématique adressée pour toutes les tranches d’âge», insiste-t-il lors de sa présentation.
Mais en matière de management, Silna Borter est claire: du tutorat par exemple requiert du temps, «mais s’il n’existe pas de politiques actives au niveau intergénérationnel, les choses se font rarement d’elles-mêmes.»
Des initiatives
Cela tombe bien, les initiatives ne manquent pas en cette matinée d’interventions. Ainsi, Isabelle Chappuis, cofondatrice du Swiss Center For Positive Futures à l’Université de Lausanne, propose de fixer un repas entre un junior et un senior toutes les deux semaines. Miles Hopwood, directeur de la société de consulting Integraal Groupe, raconte comment deux de ses employés, 72 et 19 ans, ont appris l’un de l’autre ou comment une jeune femme de 28 ans dirige une équipe d’employés plus âgés. «Pour collaborer au mieux, nous veillons à ce que chacun parle toujours en «je» à travers sa propre expérience plutôt que d’affirmer «tu devrais faire ceci ou cela», précise-t-il après sa conférence.
Lire aussi: Isabelle Chappuis, l’autre visage féminin du Centre vaudois
Autre initiative: Help Us Grow, communauté de jeunes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) créé il y a plusieurs mois pour faciliter un dialogue entre générations et faire remonter les idées des collaborateurs de 16 à 25 ans à la direction. Sébastien Savornin, responsable de projet aux HUG, est venu en parler accompagné de Laura, 24 ans et Lucas, 25 ans, coprésidents de la communauté. Est également présenté le concept du Reversed Board, soit des étudiants de l’Université de Lausanne, IMD et l’EPFL qui échangent régulièrement avec la direction de grandes entreprises, Nespresso par exemple, pour leur apporter un autre point de vue.
Enfin, une «boussole intergénérationnelle» est en cours de développement: la Fondation Advanced Alliances Academy collabore notamment avec Justine Dima, professeure en ressources humaines à la HEIG Vaud (HES-SO) pour développer cet outil qui permettra de «mesurer» la coopération à ce niveau, en vue de l’améliorer.
Autant d’outils pour tenter de faciliter les échanges. Afin d’éviter que, faute de mauvaise transmission, tout un précieux savoir se perde: ce ne serait dans l’intérêt d’aucune des générations.
Retrouvez nos articles sur le monde du travail.