Violences et vol: justes motifs de licenciement immédiat?
L'expert
C'est depuis 1881 que le code des obligations autorise l'employeur à licencier le salarié avec effet immédiat pour de justes motifs. Et pourtant, 130 ans de jurisprudence n'ont pas suffi à rendre les jugements parfaitement prévisibles

C’est depuis 1881 que le code des obligations autorise l’employeur à licencier le salarié avec effet immédiat pour de justes motifs. Et pourtant, 130 ans de jurisprudence n’ont pas suffi à rendre les jugements parfaitement prévisibles
En contact direct avec les personnes, soit le salarié, l’employeur et les témoins, les tribunaux cantonaux sont bien placés pour apprécier toutes les circonstances. Leur laissant une large marge d’appréciation, le Tribunal fédéral ne substitue son appréciation à la leur qu’en cas d’erreur manifeste. Il entend toutefois demeurer le gardien des principes, comme le montrent deux décisions récentes.
Dans la première, jugée en 2014, le salarié, lors d’une dispute, avait jeté à terre l’épouse de son patron. Les juges cantonaux ont considéré que ces voies de fait justifiaient un licenciement immédiat. Il était vrai que la patronne s’était rendue coupable, antérieurement, d’un harcèlement psychologique envers le salarié; toutefois, ce harcèlement (pour lequel la Cour cantonale lui allouait une indemnité) ne justifiait pas un comportement si violent.
Le Tribunal fédéral a cassé cette décision. Selon lui, causé par l’attitude antérieure de la patronne, l’état de colère du salarié était compréhensible, même si l’intéressé eût été mieux inspiré de rester calme. Ayant provoqué la violence du salarié, l’employeur ne disposait pas d’un juste motif de licenciement immédiat. Le Tribunal fédéral a pris en compte l’avis d’une psychiatre qui, pourtant, n’avait examiné le salarié que trois mois après les faits.
Dans une seconde affaire jugée en 2015, le salarié, employé d’un restaurant, avait dissimulé dans un sac une bouteille de vin qu’il s’apprêtait à emporter sans autorisation. Il fut licencié avec effet immédiat. Contestant les justes motifs, l’intéressé a réclamé non seulement son salaire jusqu’à l’échéance normale du contrat, mais encore une indemnité punitive représentant six mois de salaire (22 000 francs)! Jugeant le licenciement immédiat injustifié, la cour cantonale a condamné l’employeur à payer le salaire afférent au délai de congé plus une indemnité punitive correspondant à un mois de salaire. Le Tribunal fédéral a cassé cette décision. Ayant établi la volonté de voler, la cour cantonale ne pouvait pas absoudre le salarié au motif que la bouteille était de faible valeur. Dans le prolongement d’une ancienne jurisprudence exigeant du salarié une «rectitude absolue", il a jugé comme totalement dénuée de pertinence la valeur de l’objet.
On peut douter que la valeur du bien dérobé représente une circonstance sans pertinence, dès lors que la loi ordonne au juge de prendre en compte «toutes les circonstances». En l’occurrence, la mauvaise foi du salarié a sans doute fait pencher la balance.
*Avocat au Barreau de Genève et professeur honoraire à l’Université de Genève