Fraude
Reto Wittwer, ancien PDG du plus ancien groupe de gestion de palaces d'Europe, est accusé d'avoir détourné des montants «substantiels». Il a tenu les rênes de la multinationale pendant près de 20 ans depuis Genève. Ce sont ces accusations, et non pas sa volonté de prendre sa retraite, qui avaient précipité son départ l'an passé

Le groupe hôtelier Kempinski, propriété de la famille royale thaïlandaise, a lancé lundi une procédure pénale en Suisse contre son ancien président-directeur-général Reto Wittwer. Elle accuse cet ex-dirigeant de graves manquements et de fraude. Reto Wittwer aurait, en près de 20 ans d’activités à la tête de la chaîne internationale, soustrait d’importantes sommes d’argent.
Combien exactement? Contacté, Kempinski qualifie les détournements de «substantiels», sans toutefois en chiffrer avec précision l’ampleur. «Nos soupçons de tricherie ont entraîné, à l’automne 2014, le licenciement immédiat de Reto Wittwer», résument ses services de communication. À l’époque, le départ du personnage incriminé – provoquant au passage un remaniement important de l’état-major du groupe – avait été présenté comme volontaire. Les observateurs avaient alors assimilé le retrait du Suisse allemand d’origine à un départ à la retraite et non pas comme étant la conséquence d’une faute professionnelle.
Suite à une enquête minutieuse, la doyenne des enseignes de luxe du continent (118 ans d’existence) estime aujourd’hui que Reto Wittwer se serait abondamment servi dans les caisses de Kempinski, évitant les processus de contrôle internes de la société. «Y compris pendant les périodes où l’entreprise a été contrainte de procéder à des coupes budgétaires et d’engager des plans d’économie drastiques sur les coûts de la main-d’œuvre», déplore son successeur depuis octobre 2014, Alejandro Bernabé.
Personnage haut en couleur
Reto Wittwer, alors qu’il était encore en exercice, était déjà passablement décrié. Son franc-parler avait même choqué les milieux hôteliers genevois en 2012, lorsque, à l’invitation de ses homologues du bout du lac, il s’était ri de leurs malheurs. «La crise? Mais quelle crise? En ce qui nous concerne, nous paierons de bons bonus cette année», avait-il alors déclaré, devant un parterre étoilé stupéfait. Reto Wittwer avait ensuite salué les performances exceptionnelles de son navire amiral à Genève, ponctuant son discours par la formule assassine suivante: «Certains concurrents manquent d’intelligence, l’introduction du minibar représentant l’une de leurs dernières réelles innovations.»
Kempinski, dont les sièges sociaux sont à Genève et à Munich, gère depuis la Cité de Calvin un portefeuille de près de 80 établissements de haut standing. Le groupe projetait d’ouvrir, entre 2012 et 2015, 32 palaces supplémentaires. Comme le Ryugyong (littéralement «capitale des saules») en République populaire de Corée, dont les travaux ont été stoppés nets après l’effondrement du bloc soviétique. Cette pyramide de 330 mètres de haut, située en plein cœur de Pyongyang et devisée entre 750 millions et 2 milliards de dollars, était depuis surnommée le «pire chantier au monde», l’«hôtel catastrophe» ou encore le «bâtiment fantôme». «Notre partenariat de gestion permettra d’ouvrir d’abord 150 chambres, dès 2013», avait assuré au Temps Reto Wittwer, alors cheville ouvrière de ce projet de tous les superlatifs. Et le personnage controversé de conclure avec une formule plus directe pour qualifier les retombées de son investissement en Corée du Nord: «Le contrat de cet hôtel deviendra une machine à imprimer des billets colossale, en cas d’ouverture du marché.»