Engagé dans une bataille juridique contre Uber depuis 2019, Genève sommait la multinationale de se mettre «en règle» et de considérer les chauffeurs utilisant son application comme des employés, et non des indépendants. Après un recours engagé par l’entreprise, le Tribunal fédéral donne aujourd’hui raison aux autorités. C’est là l’épilogue d’une procédure lancée par le conseiller d’Etat Mauro Poggia, alors en charge du Département de l’emploi.

Ayant depuis hérité du dossier, la conseillère d’Etat Fabienne Fischer n’a pas hésité à qualifier la décision du Tribunal fédéral d'«historique» en conférence de presse, mettant en avant «une avancée majeure pour les conditions de travail, la protection des salariés et la lutte contre la concurrence déloyale». Suite à l’arrêt des juges de Mon repos, Uber devra cesser ses activités de transport avec chauffeur dès samedi minuit. Ce ne sera qu’après s’être mise en conformité avec la législation genevoise que la multinationale pourra à nouveau proposer ses services. A l’automne 2019, Genève comptait 700 chauffeurs utilisant régulièrement l’application Uber, selon la plateforme.

Recadrage rétroactif

Concrètement, il revient désormais à la multinationale, considérée comme employeur, de régulariser la situation des chauffeurs ayant utilisé sa plateforme, avec effet rétroactif. Ce sont toutes les heures travaillées depuis octobre 2019, date de la première décision de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (PCTN) qui sont concernées.

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ne réagissent pas comme Genève

Mise en place de contrats de travail, vacances, salaire minimum, prévoyance professionnelle et cotisations sociales; les revenus des chauffeurs devront être passés au peigne fin et compensés pour coller à la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur, votée par le Grand conseil en 2017. Un travail de fourmi qui pourrait coûter cher à l’entreprise.

«La décision a été notifiée à Uber et nous partons du principe qu’elle collaborera, commente Christina Stoll, directrice générale de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT). Nous espérons qu’en deux ans et demi, elle s’était préparée à cette issue.»

La décision a de quoi soulager les milieux des taxis professionnels, qui demandent à ce que les autorités surveillent avec rigueur les règles de protection des travailleurs applicables aux chauffeurs d’Uber.

Ricochet sur Uber Eats

Le Tribunal fédéral applique le même raisonnement en ce qui concerne le statut des livreurs de repas à domicile, également considérés comme salariés. Il écarte toutefois l’existence d’un contrat de location de services entre Uber Eats et les restaurateurs, ce que soutenait le canton de Genève. Ces livraisons de repas ne sont par conséquent pas menacées par une cessation temporaire d’activité.

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Pour le syndicat Unia, l’activité de livreur tombe en conséquence directement dans le champ d’application de la convention de collective de travail nationale de l’hôtellerie-restauration. «Ces employé-e-s doivent donc bénéficier de conditions de travail analogues aux livreuses et livreurs engagés directement par les restaurants», argumente-t-il.

Riposte d’Uber

Réagissant aux deux arrêts rendus par le Tribunal fédéral, la société Uber déplore la non prise en compte des changements mis en œuvre au cours des deux dernières années, selon elle, pour accroître le choix, le contrôle et l’autonomie des chauffeurs. Pour la multinationale, la grande majorité des chauffeurs VTC souhaite rester indépendant.

«La décision PCTN ne nous laisse pas d’autre choix que de suspendre temporairement nos services VTC [Véhicule de tourisme avec chauffeur, ndlr] dans le canton pendant que nous prenons à nouveau contact avec les autorités respectives pour trouver une solution acceptable pour tous. Précise son porte-parole. Malheureusement, la PCTN et la conseillère d’Etat ont rejeté nos efforts jusqu’à ce jour et n’ont pas souhaité nous recevoir».

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Si Unia salue le changement de paradigme, le syndicat met en garde face à l’interruption abrupte des activités de l’entreprise: «Des mesures d’accompagnement doivent être prises par les autorités en faveur des chauffeuses et chauffeurs qui ont déjà beaucoup été malmenés par la multinationale», avance-t-il.

Dans le monde, Uber est actif dans plus de 700 villes dans 65 pays. La multinationale recense plus de 100 millions d’utilisateurs chaque mois et chapeaute plus de 15 millions de courses au quotidien.