Chez Dassault, reste à signer «le contrat du siècle»
revue de presse
Après l’échec essuyé en Suisse, 126 Rafale pourraient finalement bien être vendus à l’armée indienne. L’industrie de l’aviation française respire un peu mieux. Mais certains se méfient aussi des effets d’annonce avant le «Stempel» final
Dassault Aviation – dont le titre a bondi de 21,5% en début d’après-midi mardi, constate Boursier.com – avait subi un sérieux revers lorsque le choix de la Suisse s’était porté, il y a deux mois, sur le Gripen suédois pour l’achat de nouveaux avions de combat. Au point que le constructeur du Rafale est revenu ces derniers jours avec une nouvelle offre faite à Berne, concurrentiellement plus intéressante. Mais ce mercredi matin, le Financial Times titre à la «une» – «India boost for Dassault» – après l’annonce d’une négociation exclusive entre l’Inde et l’avionneur français pour la vente de 126 Rafale.
«Après de nombreux échecs, la vente presque assurée de [ces] avions de combat français à New Delhi est une considérable bouffée d’oxygène pour le groupe, ainsi que pour l’industrie militaire française», constate ainsi le site Slate. fr: «Réussir à vendre enfin son avion de chasse était devenu impératif pour Dassault qui, par ailleurs, n’a aucun matériel militaire de substitution. Ce contrat de la dernière chance – même si le Rafale est également candidat pour 36 appareils au Brésil et tente de revenir en lice pour 18 appareils en Suisse, celle-ci ayant pour l’instant opté pour le Gripen du suédois Saab – semble désormais quasiment acquis.»
Aspect intéressant de ce «succès inespéré» que détaille L’Express, les observateurs soulignent «que le Rafale a particulièrement brillé lors de la guerre en Libye. Dépêchés sur place le 19 mars 2011 pour protéger les populations, les avions français ont mené 2000 sorties pendant le conflit: ils ont volé sept heures d’affilée et se sont ravitaillés en vol pour larguer les premières bombes du conflit. «Le Rafale s’est comporté de façon admirable et, ce qui compte plus, c’est qu’il n’y a pas meilleur argument de vente que d’avoir fait ses preuves au combat», explique notamment Guy Anderson, analyste en chef chez IHS Jane’s Defence Industry.» «Cette formidable publicité était l’argument qui manquait jusqu’ici à cet appareil pour convaincre, confirme le quotidien vaudois 24 heures. Non pas tant les pilotes – presque tous enthousiasmés par les qualités du Rafale – que les décideurs politiques.»
Dans le contexte électoral, il est presque inutile de préciser que le président en place et son premier ministre se sont précipités pour exploiter la nouvelle. Les Echos expliquent en effet que «Nicolas Sarkozy, qui a beaucoup défendu le Rafale depuis son élection, a précisé que la négociation du contrat «inclura d’importants transferts de technologie garantis par l’Etat français». De son côté, François Fillon a salué une très bonne nouvelle pour la France», rappelant qu’elle entrait dans le cadre d’un partenariat stratégique voulu par le président. «C’est un engagement pour trente à quarante ans de la part des Indiens. C’est un partenariat ancien qui est confirmé, une grande fierté pour l’industrie française», a pour sa part déclaré Gérard Longuet, le ministre de la Défense, dans les couloirs de l’Assemblée nationale.»
Prudent, ce dernier ne parle d’ailleurs pour le moment que de «promesse». Interrogé mercredi par Canal +, il évoque «une formidable promesse pour toute l’industrie aéronautique et de grande technologie française. C’est très flatteur.» Mais «comme on lui opposait le précédent du Brésil, pays avec lequel il y avait aussi eu une négociation exclusive, le ministre a expliqué: «Au Brésil, c’était une annonce du président qui a été remise en cause au bénéfice de l’industrie française. Les Brésiliens ont préféré acheté d’abord et avant tout ce dont ils avaient le plus besoin c’est-à-dire quatre sous-marins en France.» Conclusion: «Sur le Brésil, il y a des espérances, et sur l’Inde je suis confiant», a résumé M. Longuet, ajoutant qu’il y a aussi «des espérances» avec les Emirats arabes unis.»
«S’il fallait n’en gagner qu’un, c’était bien celui-ci»: le site Challenges.fr tente aussi de décrypter «pourquoi les Indiens ont préféré le Rafale de Dassault au Typhoon d’Eurofighter». Alors que Le Monde détaille, lui, les revers subis avant la décision de New Delhi: «Depuis le lancement du programme Rafale à la fin des années 1980, puis sa mise en service dans l’armée française en 2006, Dassault n’avait connu, en effet, que des déconvenues sur le marché international. Après les refus des Pays-Bas en 2001, de la Corée du Sud en 2002, de Singapour en 2005, après le camouflet marocain en 2007, après les illusions brésiliennes de 2009, après le revers cinglant enregistré, en novembre, aux Emirats arabes unis, Dassault s’est encore tout récemment heurté au refus de la Suisse.» N’en jetez plus.
Mais attention tout de même, prévient le site spécialisé AeroWeb-fr.net, car c’est Press Trust of India qui a annoncé la nouvelle lundi. Bien qu’il qualifie cette commande de «contrat du siècle», il faut tempérer le propos: «L’agence de presse indienne s’appuie sur une source citant le prix du Rafale comme point décisif dans le choix des autorités. Bien que le choix d’un avion moins cher à performances égales semble logique, il faut être vigilant avec les contrats militaires. Le Rafale avait déjà gagné dans d’autres marchés.»
«Cette annonce intervient après de nombreuses déconvenues, confirme Marianne 2. Plusieurs fois, des contrats Rafale ont été annoncés comme conclus ou presque, sans que rien ne suive. On pense au Maroc, à la Libye ou au Brésil. Avec les Emirats arabes unis, les discussions (pour 60 appareils) se poursuivent, parfois difficilement. La Suisse lui a récemment préféré le Gripen suédois, même si Dassault vient de faire une nouvelle offre moins chère: 18 Rafale pour un prix inférieur à 22 Gripen, sachant que, selon les Français, 18 Rafale ont des capacités supérieures à 22 Gripen.»
Si le Times of India semble confirmer la nouvelle, Le Télégramme est, lui aussi, méfiant: «La France a bien remporté le contrat du Rafale en Inde, mais «il reste à finaliser», a confirmé ce mardi le secrétaire d’Etat français au Commerce extérieur Pierre Lellouche. «Nous avons remporté le contrat, mais un certain nombre de choses reste à finaliser» et l’«on est dans une phase de négociation exclusive», a-t-il précisé sur la radio BFM.» Autrement dit, rien n’est encore signé…
Et certains internautes du blog «Avia News» hébergé par 24 heures en sont bien conscients, même si «Dassault va maintenant pouvoir entrer en discussion sur la finalité du contrat, mais le premier pas, le plus important est fait. On peut allègrement parler de soulagement pour les employés de Dassault et les sous-traitants avec cette future commande!» Ce à quoi un certain John répond: «Je pense que le soulagement est plus du côté des sous-traitants du Rafale, y compris en Suisse. Dassault fait son chiffre avec le civil, les logiciels, bientôt le cloud computing…» Pas avec ses avions miltaires.