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Il y a deux semaines, le régime annonçait un plan de réformes en 60 points. D’après des experts suisses basés en Chine, les mesures vont soutenir l’économie

Les concombres de mer sont servis, allongés en sauce entre deux brocolis. Les convives les regardent avec suspicion. Ulrich Hunn, occupé à manger sa soupe, échappera à ce mets. Un soir de la semaine passée, dans un restaurant d’un quartier branché de Shenzhen, le consul général de Suisse à Guangzhou a répondu favorablement à une demande de Huawei. La multinationale chinoise des télécoms invitait le diplomate à partager son expérience face à la presse suisse. Et ce autour d’un repas traditionnel, où les plats se succèdent à un rythme effréné sur un grand plateau tournant. Il risque d’y avoir de nombreux restes. «Les Chinois aiment servir beaucoup pour montrer qu’ils font honneur à leurs hôtes. Le gouvernement a récemment dit qu’il fallait moins gaspiller. Cela pourrait donc changer avec les réformes à venir», glisse une assistante du consul.
Ces réformes sont issues du Comité central du Parti communiste chinois et ont été annoncées le 15 novembre. Ulrich Hunn les analyse lors du dessert. «Il y a en tout une soixantaine de mesures pour seize thématiques, dans le secteur économique ou le social. Pour le régime, le but est de maintenir le pays stable. Le parti veut conserver le pouvoir et le régime sait qu’il doit un peu s’adapter à la société.»
Commençons par le volet économique. «Il est de l’intérêt de la Chine de s’ouvrir davantage aux investisseurs étrangers. Car elle sait que ceux-ci peuvent facilement partir dans d’autres pays, où les coûts sont moins élevés», affirme le consul. Le plan directeur des réformes résume un tournant économique qui a été annoncé cet été avec le lancement de la zone pilote de libre-échange de Shanghai, explique Nicolas Musy, directeur du Swiss Center Shanghai, un incubateur pour entreprises suisses qui s’installent en Chine. Les mesures prévues dans le cadre de la zone pilote, notamment sur le plan financier et sur celui du droit, montrent la détermination de l’équipe dirigeante à aller de l’avant. Il s’agit d’une stratégie du fait accompli, analyse Nicolas Musy. Il y a donc de fortes chances pour que les innovations de cette zone préfigurent les réformes qui s’appliqueront ensuite à l’ensemble du pays.
Depuis Deng Xiaoping, la tactique chinoise pour réformer l’économie consiste à ouvrir le marché aux entreprises étrangères, qui apportent capitaux et savoir-faire, et forcent les acteurs chinois à évoluer. C’est donc une bonne nouvelle pour le secteur financier suisse, très bien coté, et il y a là une fenêtre d’opportunité à saisir, ce d’autant plus que les relations bilatérales ont été dynamisées par la signature de l’accord de libre-échange, estime Nicolas Musy. Certains établissements bancaires chinois pourront s’ouvrir à des capitaux privés. «La Suisse compte beaucoup sur l’ouverture du secteur financier et celui des services. Mais j’ai entendu, notamment dans le secteur de Shanghai, que les banques suisses ne sont, pour l’heure, pas agressives, alors que des banques américaines et allemandes ont déjà obtenu leurs licences», affirme Ulrich Hunn.
La libéralisation du secteur financier est urgente, affirme une source bancaire. Dans certaines provinces, les entreprises d’Etat accaparent 80% des crédits bancaires pour 30-40% du PIB. Par ailleurs, la Chine vieillit. Il faut réagir maintenant, pas dans deux ou trois ans. Enfin, les réactions de l’appareil bureaucratique à l’annonce de la zone pilote de Shanghai n’ont pas été unanimement positives, avertit notre interlocuteur.
Avec la province de Guangzhou, le consul travaille dans une zone quatre fois plus vaste que la Suisse et peuplée de quelque 105 millions d’habitants. «Certains sont sceptiques quant à l’application concrète des réformes, dit-il. Mais la situation évolue déjà. A Guangzhou, le delta était auparavant fortement pollué par de très nombreuses usines – même les habitants de Hongkong s’en plaignaient. Le gouvernement a ordonné la fermeture de ces usines et leur déplacement à l’intérieur des terres, pour que les habitants soient moins affectés par la pollution, avec de bons résultats. Lonza, qui possédait une usine au centre de Guangzhou, a ainsi dû migrer à une heure de la ville. La Chine crée des normes environnementales et les applique. Elle avance dans le bon sens.»
Si la volonté de réformer est un élément positif, on ignore encore jusqu’où iront ces réformes et comment elles seront mises en œuvre, relativise Robert Wiest, responsable de la stratégie et des opérations chez Swiss Re Asie. «Dans une perspective de dix ou quinze ans, nous tablons sur une évolution positive du marché, selon une courbe pas nécessairement linéaire. La prudence reste de mise.»
Si le document encourage le développement des PME, il ne remet pas en cause la prédominance des entreprises d’Etat qui représentent un très puissant groupe d’intérêt. De la résolution de cette contradiction dépend le succès des réformes, estime Robert Wiest.
Selon un cadre haut placé d’une multinationale basée en Chine, «les mesures annoncées pourraient stimuler la demande intérieure, car le pays vit aujourd’hui beaucoup des exportations. Grâce aux mesures annoncées dans le domaine social, les enfants vont moins épargner pour la retraite de leurs parents et pour eux-mêmes et devraient davantage consommer.»
Quid des consommateurs? «Notre consulat est tout proche d’un centre commercial de sept étages, avec plus de cent magasins par étage, dit Ulrich Hunn. Nous voyons sans cesse des Chinois avec beaucoup de sacs à la main… La société est en fait très capitaliste, les Chinois peuvent consommer, voyager – mais la liberté de parole n’est pas totale.»
Du point de vue social aussi, le consul constate des améliorations. «Il y a deux ans, le consulat a organisé une opération de charité pour les enfants de migrants d’autres provinces, car comme ils étaient jusqu’alors considérés comme illégaux, ils devaient fréquenter d’autres écoles, plus chères. Or cette année, les autorités locales ont participé elles-mêmes à une récolte de dons. Et d’après les dernières réformes annoncées, les migrants auront davantage de droits.»
«La société est en fait très capitaliste, les Chinois peuvent consommer, voyager – mais la liberté de parole n’est pas totale»
acdsv