Les contaminés, les victimes, les quarantaines, les guéris… Jamais, sans doute, dans l’histoire des épidémies, les décomptes n’avaient été aussi nombreux, précis et immédiats que pour le coronavirus. Il y a pourtant un calcul qui commence à peine à être évoqué, près d’un mois après l’officialisation de la propagation de la maladie: les points de croissance que coûtera la paralysie chinoise à l’économie mondiale.

Jusqu’ici, le Nouvel An lunaire, même si les fermetures ont été prolongées jusqu’en février, a permis aux experts de considérer que de toute façon, l’activité aurait tourné au ralenti dans l’Empire du Milieu. Mais vendredi, la baisse de l’indice PMI chinois des directeurs d’achats est venue démontrer que, déjà, l’activité industrielle commence à souffrir. Et encore, le sondage sur lequel se base cet indice a été réalisé avant le 20 janvier, a prévenu le bureau statistique national. Ce qu’il s’est passé au cours des douze derniers jours n’apparaît donc pas encore dans les chiffres officiels.

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En attendant, pour trouver des points de comparaison, les prévisionnistes s’appuient sur l’expérience du SRAS, entre fin 2002 et 2003. L’effet global avait été évalué à 40 milliards de dollars, soit 0,1% du PIB mondial. Et, une fois l’épidémie circonscrite, la croissance chinoise avait plus ou moins rattrapé son retard, grâce à son industrie d’exportation.

Ce n’est plus l’atelier du monde

Mais la comparaison a ses limites. Parce que la maladie n’est pas la même. Et parce que la Chine n’est pas la même. Depuis le début du siècle, le poids de la consommation intérieure dans le produit intérieur brut est passé de 40 à 60% environ. Son rôle a également changé. A l’époque, la Chine venait de faire son entrée à l’OMC. Son poids dans l’économie mondiale se limitait à 4%. Il s’élève aujourd’hui à 17%. Elle est la deuxième puissance économique de la planète.

Au niveau industriel, «la Chine a quitté son statut d’atelier du monde, souligne Mary-Françoise Renard, professeure et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine (Idrec) à Clermont-Ferrand. Elle s’est transformée en une économie d’assemblage et de fabrication propre.» Si bien qu’aujourd’hui la crise de coronavirus a le potentiel de mettre en lumière la nouvelle dépendance de la chaîne de production mondiale à la Chine. «Cette dépendance, on la connaît déjà, rappelle la spécialiste française. On l’a vu avec la guerre commerciale: lorsque Donald Trump impose des droits de douane aux exportations chinoises, tous les secteurs de l’économie, dans tous les pays, sont concernés.»

En termes d’avancées technologiques, ce qui se passe en Chine est comparable à ce qu’il s’est passé au Japon dans les années 1980 et en Corée du Sud dans les années 1990

David Dollar, du think tank américain Brooking Institution

Cette semaine, les illustrations les plus notoires du phénomène sont venues d’Apple, ou plutôt de ses fournisseurs basés en Chine, tel le taïwanais Foxconn, qui a partiellement reporté la reprise de l’activité dans ses usines au 10 février. L’entreprise s’est par ailleurs empressée de rassurer sur sa capacité à honorer les commandes de ses clients producteurs de smartphones.

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Mais ce risque vaut pour toute l’industrie des technologies de l’information (TIC), devenue hautement dépendante du savoir-faire – et des prix – chinois. «La fabrication d’appareils et de composants passe par une chaîne d’approvisionnement complexe qui traverse la région, écrit Nishant Singh, spécialiste des TIC chez GlobalData. Le lancement de nouveaux produits pourrait être affecté. Et même si les blocages des usines ne sont que temporaires, les baisses de production d’appareils pourraient se faire sentir sur l’ensemble de 2020.»

Comme le Japon et la Corée du Sud

Moins de jouets, de vêtements bas de gamme et de biens de consommation basiques, désormais fabriqués en Inde, au Vietnam, au Bangladesh ou au Pakistan. La montée en gamme industrielle de la Chine, capable désormais de fabriquer des pièces techniques et complexes, a de quoi changer la donne, par rapport à 2003.

«En termes d’avancées technologiques, ce qui se passe en Chine est comparable à ce qu’il s’est passé au Japon dans les années 1980 et en Corée du Sud dans les années 1990», résume David Dollar, membre du think tank américain Brooking Institution. Dans un rapport publié par l’OMC l’année dernière, cet expert de l’économie chinoise place la Chine «au bout de la chaîne de valeur asiatique. Elle importe des composants du Japon, de Corée ou de Taïwan et les assemble pour en faire des produits finis.» Globalement, chiffre-t-il, deux tiers de ses importations de produits TIC sont réexportés.

«Changement monumental»

Mais cette situation devrait évoluer. Dans les semi-conducteurs, par exemple, la Chine ne produit elle-même que 10% de ses besoins, le reste étant importé. Pékin prévoit qu’en 2025 cette part grimpera à 70%. «Un changement monumental», prévoit David Dollar.

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Mais cette ascension chinoise dans les chaînes de valeur ne se limite pas aux produits technologiques. L’automobile, l’industrie des machines, la plasturgie, l’aéronautique, le médical, la pharma, l’ingénierie… Les exemples sont innombrables. Globalement, estime l’agence Bloomberg, 30% des biens intermédiaires industriels importés aux Etats-Unis proviennent de Chine. En Europe, cette part se limite à 10%. Mais dans le domaine électronique et le textile en particulier, les entrants chinois pèsent à eux seuls un tiers du total.

Si l’épidémie du coronavirus s’étend et prolonge les paralysies dans les circuits industriels, «les biens d’équipement chinois d’aujourd’hui seront plus difficiles à remplacer que les biens de consommation de l’époque, conclut Mary-Françoise Renard. Et s’ils le sont, les prix ne seront pas les mêmes.»