Les grandes marques de luxe ne sont plus en totale odeur de sainteté en Chine. Les clients de l’Empire du Milieu se détournent des labels trop ostentatoires ou tapageurs dans un contexte de décélération de la conjoncture et de moralisation de la vie publique liée aux cadeaux de la corruption. La tendance ne date pas d’aujour­d’hui mais semble se renforcer, estime le Wall Street Journal. Un avis partagé par René Weber, analyste chez Vontobel. «Louis Vuitton l’a bien compris et a adapté sa stratégie en fonction. La marque se focalise davantage sur des articles en cuir où son logo est moins dominant.» Actuellement, la préférence des Chinois irait donc vers la sobriété, au détriment des articles trop démonstratifs.

«Les consommateurs de l’Empire du Milieu deviennent de plus en plus sophistiqués. On observe en particulier l’émergence progressive d’un luxe d’initiés, davantage porté sur la discrétion», relatait récemment Bain & Company. Conséquence: le cabinet estime que le marché chinois du luxe va peser quelque 21 milliards de dollars cette année. Soit une croissance de seulement 2,5%, contre une hausse de 20% l’an dernier.

Les grandes marques, telles que Gucci et Louis Vuitton, sont devenues omniprésentes ces dernières années dans les villes chinoises. Mais cette surexposition commence à devenir contre-productive, selon les experts de l’industrie. Lors d’une conférence pour les analystes, LVMH a ainsi dû admettre que les ventes de Louis Vuitton au troisième trimestre avaient stagné en Chine. La marque a choisi de ralentir le rythme des nouvelles ouvertures de boutiques. De son côté, Gucci a même essuyé sur la même période un recul de ses ventes.

A l’inverse, les petites marques, comme Coach, connaissent une progression soutenue de leur chiffre d’affaires. Et Givenchy, qui est moins connu en Chine que Louis Vuitton, prévoit de tripler le nombre de ses magasins dans le pays, à 30, au cours des deux prochaines années. «Les petites griffes comme Michael Kors ou Salvatore Ferragamo affichent pour l’heure de fortes croissances», selon René Weber. Un phénomène que confirme une étude de Credit Suisse: «Certains signes suggèrent que ce sont actuellement les styles épurés et les petites marques de luxe plus rares qui ont la préférence.» C’est aussi la gueule de bois chez les nababs du cognac, une boisson pourtant très prisée jusqu’ici parmi les officiels chinois. Après avoir connu pendant quatre ans des croissances stratosphériques, les ventes de Rémy Martin, Hennessy et Martell accusent le coup.

En outre, un sondage commandité par Swarovski montre que plus de 75% des consommateurs chinois préfèrent essayer de nouvelles marques, soit le pourcentage le plus élevé de tous les marchés couverts par l’entreprise. Aux Etats-Unis, par exemple, cette préférence est à peine un peu supérieure à 40%.

René Weber ne croit cependant pas que les grandes marques soient hors jeu. D’ailleurs, Patrick Thomas, cogérant d’Hermès, constatait début novembre un glissement significatif vers une clientèle de gens qui recherchent toujours davantage des produits authentiques. «Il y a de plus en plus de connaisseurs qui recherchent le bel objet. Ce qui nous comble de bonheur», a-t-il dit, ajoutant qu’en Chine, «tout va très bien pour nous», avec une croissance de 19% observée en Grande Chine. Selon Scilla Huang Sun, gestionnaire du fonds Julius Baer Luxury Brands Fund chez Swiss & Global Asset Management, il ne faut d’ailleurs pas généraliser la situation. «Certes, certaines marques ont atteint une sorte d’effet de saturation, mais d’autres, comme Burberry ou Tiffany, réalisent de belles performances» en Chine. Celles impactées reconsidèrent de toute manière en permanence leur portefeuille de produits et trouveront une réponse, d’après la spécialiste.

Pour le moment, la campagne anti-corruption fait toutefois toujours des dégâts dans les comptes des groupes européens de luxe. Il semble que la lutte contre les pratiques de «cadeaux d’affaires» n’ait de plus pas encore déployé tous ses effets. Les groupes font désormais le dos rond en espérant que l’orage passe le plus vite possible.

La campagne anti-corruption fait des dégâts dans les comptes des groupes européens de luxe