Chine, Inde, Russie, nouvelles puissances vaccinales
Pandémie
Les trois grands pays émergents ont développé des vaccins anti-covid avec un certain succès. Ils dévoilent ainsi leur capacité d’innovation et de production dans le domaine de la santé et bousculent les acteurs traditionnels. Toujours est-il que seule une infime partie des Indiens, des Chinois et des Russes ont reçu une première dose. Pourquoi?

En matière de vaccins, trois nouveaux acteurs ont émergé lors de cette pandémie de Covid-19: la Chine, l’Inde et la Russie. Contrairement aux Etats-Unis et à l’Union européenne, ils occupent le devant de la scène en ce qui concerne l’accès aux vaccins dans le monde. Mais force est de constater que le taux de vaccination de leur propre population est très bas par rapport à de nombreux pays. Selon l’agence Bloomberg qui tient un décompte des vaccinations, 1,8% d’Indiens, 3,6% de Russes et 2,7% de Chinois avaient reçu au moins une dose contre le Covid-19 au 23 mars.
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En Inde à ce stade, la campagne de vaccination est réservée au personnel soignant ainsi qu’aux personnes de plus de 70 ans. A ce jour, A ce jour, deux vaccins y sont administrés: en premier, celui d’AstraZeneca produit sous licence par le Serum Institute of India et vendu sous la marque Covishield, et le deuxième développé par un laboratoire indien Bharat Biotech. Ce dernier est controversé pour avoir obtenu le feu vert pour une utilisation d’urgence alors que les essais cliniques sur les humains sont encore en cours.
Ce n’est pas la ruée vers les centres de vaccination, selon un témoignage recueilli à Chennai. Les candidats arrivent au compte-gouttes et sont accueillis à bras ouverts, sans empressement, dans les centres de vaccination. Pour Gopalan Balachandran, professeur d’histoire internationale et de politique à l’Institut de hautes études internationales et de développement (IHIED) à Genève, «des Indiens ne sentent pas l’urgence de la situation, d’autres sont sceptiques et après les controverses liées à AstraZeneca en Europe, ils attendent vraisemblablement plus d’informations rassurantes».
3,5 millions de vaccinations par jour
Le pays espère passer à une vitesse de croisière de 3,5 millions de vaccinations par jour. A ce rythme, il parviendrait à avoir vacciné 60% de la population d’ici à la fin de l’année. Mais l’Inde entend aussi se profiler comme un grand fournisseur de vaccins anti-covid au monde. «Les motivations sont commerciales, mais aussi politiques», souligne le professeur genevois. Dans une guerre d’influence contre son grand voisin chinois, New Delhi a mis en place un programme de diplomatie vaccinale: 30 millions de doses ont été offertes à ce jour à 36 pays.
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L’Inde peut compter sur ses alliés dans cette guerre contre la Chine. Avec les Etats-Unis, le Japon et l’Australie, elle fait partie du Quad, un forum promu par Washington pour contrer la montée de la puissance chinoise dans la zone Asie-Pacifique. Dans ce contexte, les usines indiennes produiront un milliard de doses qui seront distribuées à l’Asie d’ici à la fin de 2022. Le financement sera assuré par les Etats-Unis et le Japon. A présent, c’est la Chine qui occupe le terrain.
Parole donnée, parole sacrée
La Chine nie participer à une quelconque course aux vaccins et se défend de vouloir exporter ses vaccins aux dépens de sa propre population. Un diplomate chinois rappelle l’engagement pris déjà l’an passé par le président Xi Jinping selon lequel tout vaccin développé en Chine sera déclaré «bien public». «Parole donnée, parole sacrée, nous avons déjà livré près de 500 millions de doses à une cinquantaine de pays», relève-t-il. Selon le Global Times, un journal en ligne proche du pouvoir chinois, de lundi, le pays vise une couverture vaccinale pour 40% de la population d’ici à juillet et pour 65% à la fin de l’année. Pour atteindre cet objectif, environ 4 millions de Chinois doivent être inoculés par jour.
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Pékin ne doute pas de sa capacité industrielle pour produire les milliards de doses visant à protéger le 1,4 milliard de personnes et destinés à l’étranger. Plusieurs laboratoires dont certains sont liés à l’Etat ont développé des vaccins et trois d’entre eux (Sinovac, Sinopharm et CanSino) ont déjà été homologués par les autorités. «Notre plus grand défi est, d’une part, de convaincre tout le monde de se faire vacciner et, d’autre part, de mobiliser le personnel soignant pour effectuer une campagne de vaccination historique», ajoute le diplomate.
L’an dernier, la fille de Vladimir Poutine s’était fait inoculer le vaccin Spoutnik V mis au point par l’institut Gamaleya, histoire de témoigner de sa sécurité. Mardi, c’est le président russe lui-même qui a reçu une dose, en privé. Bref, la Russie mène une vaste offensive pour montrer la capacité de son pays en matière de vaccins.
Spoutnik V, plus fort à l’étranger
La Russie est l’un des pays parmi les plus frappés par le Covid-19, avec près de 4,4 millions de personnes infectées et 95 000 décès. Le faible taux de vaccination s’explique par le manque de confiance dans le vaccin indigène. En réalité, la réputation du Spoutnik V est acquise davantage à l’étranger qu’en Russe. Il est homologué dans 49 pays et 13 d’entre eux ont déjà signé des contrats d’importation. Pour assurer la production, le Russian Direct Investment Fund, propriétaire du vaccin, a signé quatre contrats avec des laboratoires indiens pour un total de 500 millions de doses par année.
Le professeur Gopalan Balachandran ne s’inquiète pas outre mesure ni de la guerre des vaccins entre Pékin et New Delhi ni de la lenteur des campagnes de vaccination dans les trois pays. «En réalité, la pandémie leur a donné une occasion de montrer leur capacité d’innovation et de production dans le domaine de la santé.»
Américains et Européens d’abord
Du côté des Etats-Unis et de l’Union européenne, la stratégie est assumée: les doses doivent revenir en priorité à leur propre population. Pour avoir participé à coups de milliards de dollars à la recherche et au développement de vaccins, tant Washington que Bruxelles se sont arrogé un droit de regard sur la distribution des vaccins de Pfizer, Moderna, Johnson & Johnson, AstraZeneca et autres entreprises américaines et européennes.
Dans les faits, les Etats-Unis, le Canada et plusieurs pays européens – 15% de la population mondiale – ont réservé plus de 60% de vaccins auprès de Moderna et Pfizer. Ils financent tout de même l’accès aux vaccins dans le reste du monde par le biais du Covax, un mécanisme de l’Organisation mondiale de la santé.