Il s’agit d’une véritable lune de miel. La visite fin août du premier ministre chinois Zhang Gaoli en Arabie saoudite a débouché sur la signature d’une soixantaine d’accords entre les deux pays, d’une valeur de près de 70 milliards de dollars (environ 66 milliards de francs). La plupart ont trait à l’énergie. La compagnie pétrolière nationale Saudi Aramco va notamment s’associer à son homologue China National Petroleum Corporation (CNPC) pour développer une raffinerie dans le Yunnan, au sud-ouest du pays.

Pékin effectuera de son côté une étude de faisabilité pour la réalisation de deux centrales nucléaires dans le pays du Golfe, l’assistera dans le développement d’une usine de désalinisation alimentée par des réacteurs nucléaires et l’aidera à prospecter pour de l’uranium et du thorium, deux combustibles. «Les deux pays ont aussi créé un fonds d’investissement doté de 20 milliards de dollars, pour soutenir des projets d’énergie solaire, d’infrastructure, miniers et spatiaux», relève Jeffrey Towson, un professeur d’économie à l’Université de Pékin.

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Ce n’est pas la première fois que les deux Etats unissent leurs forces. En mars, le roi Salman ben Abdelaziz Al Saoud est reparti de Pékin avec 14 contrats de coopération d’une valeur de 65 milliards de dollars. Parmi ceux-ci figuraient un projet de complexe pétrochimique entre Saudi Aramco et le conglomérat public China North Industries Group (Norinco), au nord-est de la Chine.

«Fortunes intrinsèquement liées»

«Cela fait une décennie que ces deux pays ont entrepris un rapprochement, dit Jeffrey Towson. Leurs fortunes sont intrinsèquement liées.» La Chine figure invariablement dans le trio de tête des principaux importateurs de pétrole saoudien. «Elle n’a pratiquement pas d’hydrocarbures et ses besoins sont immenses, relève-t-il. Chaque jour, le pays importe 8,5 millions de barils de brut, contre 6 millions en 2014.» Le pays se trouve aujourd’hui dans une relation de dépendance semblable à celle qui liait les Etats-Unis à cet Etat du Golfe dans les années 1980 et 1990, selon lui.

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Mais Riyad a tout autant besoin de Pékin. Confrontée à la baisse du prix du pétrole, dont le baril oscille actuellement autour de 52 dollars contre 110 dollars en 2014, l’Arabie saoudite se doit de soigner ses gros clients. Elle espère en outre que la cotation en bourse, prévue cette année encore, de Saudi Aramco attirera des investisseurs issus de l’Empire du Milieu. L’assistance chinoise dans le domaine du nucléaire et du solaire devrait en outre l’aider à réduire sa dépendance sur l’or noir. «Aujourd’hui, l’Arabie saoudite utilise une grande partie de son pétrole pour assouvir ses propres besoins énergétiques, détaille Jeffrey Towson. Elle aimerait en consommer moins pour pouvoir en exporter plus.»

Moscou entre dans le bal

L’idylle entre Pékin et Riyad commence malgré tout à présenter des fissures. En 2016, la Russie a pour la première fois supplanté l’Arabie saoudite comme principale source de pétrole pour la Chine. Cette dernière a importé 51 millions de tonnes de brut saoudien l’an passé, contre 52,5 millions de tonnes de brut russe, selon un rapport de BP. Elle va aussi se mettre à acheter du gaz en provenance de Sibérie, acheminé à l’aide d’un nouveau pipeline. Les premières livraisons sont prévues pour 2019.

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De plus en plus isolée sur la scène internationale en raison des sanctions économiques qui lui ont été imposées à la suite de son intervention en Ukraine, la Russie cherche en effet à diversifier les débouchés pour son or noir. La Chine représente aussi l’un de ses principaux clients en matière d’armement: fin 2016, Moscou lui a vendu une série d’avions de combat Sukhoï.

Mais le rapprochement entre ces deux Etats, qui se sont regardés en chiens de faïence durant toute la Guerre froide, possède également une composante politique. «La Chine et la Russie se perçoivent comme des alliés, liés par leur opposition aux pouvoirs occidentaux, notamment au sein du Conseil de sécurité de l’ONU», relève Timo Kivimäki, un expert des relations externes de la Chine à l’Université de Bath. En juillet, les deux Etats ont mené un exercice militaire conjoint en mer Baltique, dans l’arrière-cour de l’OTAN.