Visiblement, la Chine emprunte la même voie que le Japon qui, dans les années 1980, investissait à tout va à l’étranger, avant de connaître un long ralentissement de son économie. Une stratégie risquée? La question se pose à la lumière de l’annonce faite jeudi selon laquelle Pékin est devenue, pour la première fois en 2015, une exportatrice nette des capitaux. Selon le ministère chinois du Commerce, les investissements chinois à l’étranger ont augmenté de 18,3% pour atteindre en 2015 le niveau record de 145 milliards de dollars, contre 135,6 milliards de dollars investis dans le pays (+4,5%).

A partir ses années 2000, les entreprises chinoises sont parties à l’assaut de l’économie mondiale, d’abord en Asie voisine, puis dans le reste du monde. Désormais, pas une semaine ne se passe sans l’annonce d’une acquisition à l’étranger par une entreprise chinoise. En Suisse, la dernière acquisition qui a fait couler beaucoup d’encre concerne Syngenta. ChemChina s’est offert la société agrochimique pour 44 milliards de dollars cet été, même si la transaction n’est pas encore finalisée. En Allemagne, les investisseurs chinois ont conclu 24 rachats de janvier à juin de cette année. A ce rythme, ils doubleront la mise de 2015.

Howard Yu, professeur de stratégie économique et Innovation à l’école de management (IMD) à Lausanne, estime que les investisseurs japonais avaient péché en misant massivement dans l’immobilier. «On se demandait alors s’ils allaient acheter toute New York, se souvient-il. Lorsque la bulle immobilière a éclaté aux Etats-Unis, les conséquences ont été automatiquement ressenties au Japon.» Selon lui, des investisseurs chinois ont certes aussi acquis des biens dans les grandes villes européennes, comme à Genève, mais sans qu’il y ait eu des placements à l’outrance dans le secteur. Il met toutefois en garde contre des acquisitions dont les prix sont surévalués à l’étranger

Question de survie

Hosuk Lee-Makiyama, directeur de l’European Centre for International Political Economy, un centre d’analyses économiques à Bruxelles, rejette l’idée selon laquelle les investissements japonais à l’étranger n’ont fait que nuire à l’économie nippone. «Si Toyota n’avait pas investi aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, elle aurait vraisemblablement disparu, dit-il. De la même façon, l’acquisition de CBS par Sony porte encore ses fruits.» Ancien diplomate commercial suédois, le chercheur affirme que les entreprises japonaises sont parties à l’étranger aussi parce que les possibilités d’investir au pays s’étaient rétrécies. «C’était donc la question de leur propre survie», fait-il remarquer.

Hosuk Lee-Makiyama ne s’inquiète pas outre mesure par rapport aux risques qu’encourt la Chine dans sa conquête des marchés mondiaux. «C’est une puissance économique et il est naturel que ses entreprises diversifient leurs activités, dit-il. D’une part, elles recherchent à acquérir des technologies, d’où les acquisitions en grand nombre en Allemagne. D’autre part, elles s’ouvrent de nouveaux marchés en s’installant en Europe ou aux Etats-Unis.»

Barrières chinoises aux capitaux étrangers

Professeur d’économie à l’Université de Lausanne et spécialiste de la Chine, Antoine Kernen ne fait non plus de parallèle entre la Chine d’aujourd’hui et le Japon des années 80. Il rappelle que si la Chine attire moins des capitaux, c’est que les opportunités se font rares. Selon lui, certains facteurs qui attiraient les investisseurs, comme les bas salaires, ne sont plus valables. «Le Japon avait aussi délocalisé ses activités dans une stratégie de rester compétitive», poursuit-il.

Le professeur fait aussi remarquer que Pékin a introduit de nouvelles barrières aux investissements étrangers. Plusieurs secteurs comme les télécommunications, les banques ou encore le conseil aux entreprises, sont largement protégés de la concurrence. A ce propos, le président de la Chambre de commerce de l’UE en Chine, Joerg Wuttke, dénonçait au début du mois ces restrictions. «Alors que l’Europe se montre extrêmement ouverte, les investisseurs européens n’oseraient, même pas en rêve, imaginer racheter un aéroport ici en Chine», relevait-il, en référence au rachat de l’aéroport de Toulouse par un consortium chinois.