Le nouvel économiste responsable pour la Suisse romande auprès d’UBS, Philippe Müller fait le tour des questions qui agitent les marchés en ce moment, à commencer par le Brexit et les élections présidentielles aux Etats-Unis.

Le Temps: Les effets du Brexit sur les marchés vous inquiètent-ils?

Philippe Müller: Si dans un premier temps tout le monde a pensé que le Brexit représentait un risque systémique pour l’économie européenne, on s’est rapidement rendu compte que ce serait avant tout un problème local. Pour preuve: les chiffres économiques attestent d’une certaine solidité et jusqu’ici et les marchés financiers n’ont été que peu volatils.

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- Comment expliquez-vous cette résilience?

- Du fait que les politiques et les banques centrales ont apporté les bonnes réponses à la situation, notamment en baissant les taux d’intérêt en Grande-Bretagne. Il n’y a ainsi pas eu d’escalade politique comme on pouvait le craindre. Par contre, si Bruxelles devait se montrer plus ferme vis-à-vis de Londres, alors on peut craindre une hausse des incertitudes qui pèserait ensuite sur l’économie réelle.

- Le Brexit n’est pas le seul sujet politique qui anime les marchés à l’heure actuelle. Il y a aussi les élections américaines…

- Effectivement. En cas de victoire d’Hillary Clinton, on peut considérer que les Etats-Unis continueront avec la même politique économique qu’aujourd’hui. En revanche, Donald Trump a annoncé que, s’il gagnait, il réduirait les impôts. Cette stratégie peut être bonne pour l’économie locale à court terme, mais elle risque d’entraîner une chute du budget fédéral et une hausse de la dette à moyen terme, ce qui aurait pour conséquence de faire monter les taux d’intérêt et de créer de la nervosité sur les marchés. Sans oublier les incertitudes que son élection provoquerait sur le commerce international. Cela étant dit, l’économie américaine se porte relativement bien. Et il y a encore un potentiel de hausse sur les marchés américains. Nous estimons que les rendements des actions devraient progresser de 3% cette année et de 6% à 7% en 2017.

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- Vous ne voyez donc pas de risques liés, par exemple, à la hausse des taux de la Réserve fédérale?

- Le principal danger serait qu’elle augmente ses taux trop rapidement, alors que l’économie américaine ne serait pas vraiment prête. On a toutefois vu lors de sa dernière réunion de politique monétaire au mois de septembre que tel n’était pas le cas et que la Fed faisait preuve de l’attention nécessaire pour ne pas brusquer le mouvement. N’oublions pas non plus qu’un vrai cycle économique se définit par 25 hausses de taux consécutives et qu’il ne sert donc à rien de paniquer après une seule. Cela étant dit, il faut aujourd’hui, peut-être plus qu’hier, bien diversifier son portefeuille et, surtout, se couvrir contre les risques de change.

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- Question diversification, comment faut-il s’y prendre?

- Jusqu’à présent les obligations ont plutôt bien rempli leur rôle de stabilisateur des portefeuilles. Néanmoins, la corrélation entre actions et obligations va tendre à s’amoindrir. Les investisseurs doivent apprendre à faire avec, tout comme ils devront accepter une certaine illiquidité dans leur portefeuille et le fait que gagner beaucoup d’argent sur les marchés coûtera plus cher que par le passé. Prenez les taux d’intérêt négatifs: soit vous les tolérez, soit vous acceptez de prendre plus de risques pour ne pas devoir les supporter. Le problème, c’est que les clients n’ont pas forcément l’expérience nécessaire pour prendre davantage de risques et que cela peut les conduire à vouloir changer l’allocation de leur portefeuille au plus mauvais moment.

- Qu’en est-il de la politique monétaire en Europe?

- La question est que va-t-il se passer après le mois de mars, quand le programme d’assouplissement monétaire est censé arriver à son terme. Le patron de la Banque centrale européenne (BCE) Mario Draghi a trois solutions: soit il décide de l’arrêter de manière abrupte, soit il repart pour six mois supplémentaires, soit il le réduit progressivement («tapering»). Nous aurons un premier élément de réponse le 8 décembre lors de la prochaine réunion de la BCE mais il y a de grandes chances pour que l’on se dirige vers la troisième solution. Même s’il faut faire attention à l’effet yoyo…

- Qu’entendez-vous par là?

- Que l’inflation pourrait faire son retour en Europe en raison de la seule hausse des prix du pétrole, ce qui aurait pour conséquence de réduire la pression sur Mario Draghi et lui permettre de ne rien faire.

- Vous vous attendez à une hausse des cours du pétrole?

- Oui, le prix du baril va augmenter pour la simple et bonne raison que la croissance de l’offre, qui est à l’origine de la chute de prix que nous avons connue depuis deux ans, est en train de faiblir. Cela est notamment dû au fait que les investissements aux Etats-Unis ont diminué suite à la baisse des prix.

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- Quid enfin de l’économie suisse?

- Elle a montré des signes exceptionnels de résilience ces derniers mois si bien que la croissance devrait s’inscrire à environ 1,4% en 2016. A ce rythme-là, on va bientôt pouvoir dire que la page du taux plancher, et du choc qui a suivi son abandon, a été définitivement tournée. L’année prochaine devrait être du même acabit avec, en plus, une inflation qui devrait retrouver un territoire positif. Cela étant dit, la Banque nationale suisse ne passera pas à l’action tant que la BCE n’aura rien fait de son côté. Autrement dit, il ne faut pas attendre une hausse des taux avant 2017.