Emploi
Le taux de chômage est à son niveau le plus bas depuis dix ans en Suisse. Mais ces chiffres du Seco ne donnent qu’un instantané de la réalité complexe du marché du travail

Le tableau est idyllique. La Suisse affiche un taux de chômage de 2,6% en moyenne pour l’année écoulée, son plus bas niveau en dix ans. Corrigé des effets saisonniers, soit l’arrivée de jeunes diplômés sur le marché de l’emploi en août, il descend à 2,4%. Et c’est à ce niveau qu’il devrait se stabiliser cette année, selon les estimations du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) présentées mardi à Berne. Depuis son plafond à 3,6% en 2009, à la suite de la crise financière de 2008, il a d’ailleurs rarement dépassé les 3%, seuil du plein-emploi. Et ce malgré le choc du franc lors de l’abolition du taux plancher par la Banque nationale suisse début 2015.
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Et pourtant, il suffit de tendre quelque peu l’oreille dans son entourage, dans les transports, au bistrot ou plus pragmatiquement de comparer ces données à d’autres statistiques officielles pour s’apercevoir qu’elles sont en décalage avec la réalité du monde du travail. Contrairement aux chiffres du Seco, qui ne recensent que les personnes inscrites aux Offices régionaux de placement (ORP), le taux calculé par l’Office fédéral de la statistique (OFS) tient, lui, compte des demandeurs d’emploi non inscrits. Et ce taux, qui selon la définition du BIT (Bureau international du travail) considère comme chômeur toute personne sans travail établie en Suisse et disponible à court terme pour un emploi, s’établit à près de 4,5%.
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Une vision instantanée
«Ces deux statistiques n’entrent pas en concurrence», souligne Boris Zürcher, chef de la Direction du travail au Seco. Les deux courbes ne divergent pas, montrant simultanément des tendances à la hausse ou à la baisse. Celle du Seco a le mérite de la rapidité et permet des publications à un rythme mensuel, justifie-t-il quand on l’interroge sur le sens à maintenir cet indicateur. «Elle donne un cliché instantané du marché de l’emploi.» Ce caractère d’immédiateté en fait la donnée préférée des analystes financiers.
Les calculs de l’OFS nécessitent quant à eux des enquêtes téléphoniques et des extrapolations. «Ils donnent une estimation plus réaliste du chômage», souligne Daniel Lampart, chef économiste à l’Union syndicale suisse (USS). Mais pour avoir une vision plus complète de la situation sur le marché du travail, il faudrait aussi tenir compte de la nature des emplois, selon lui. Notamment du travail à temps partiel, qui concernait 38,8% des actifs en Suisse en 2017 (en progression selon l’OFS) et peut conduire à des situations de sous-emploi. Soit des personnes employées à des taux d’occupation réduits mais qui souhaiteraient travailler davantage. «Cela concerne plus de 7% des actifs aujourd’hui», souligne Daniel Lampart. Avec pour conséquence des revenus plus bas et une précarisation des ménages.
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Le travail temporaire est également en hausse, de 6,3% sur un an selon le Swiss Job Index publié mardi également. S'il est vanté pour sa flexibilité par les recruteurs, Daniel Lampart note toutefois que «la grande majorité des travailleurs temporaires cherche un contrat à durée indéterminée».
Chaque mois, quelque 3000 chômeurs en fin de droit
Le syndicaliste signale aussi les quelque 3000 personnes qui arrivent en fin de droits chaque mois, qui sont surtout des plus de 50 ans. Privées des prestations de l’assurance chômage, elles doivent faire appel à l’aide sociale.
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La question du chômage des plus de 50 ans sera d’ailleurs l’une des thématiques centrales de l’USS cette année. La sortie des chiffres rouges de l’assurance chômage prévue pour cette année par le Seco place la faîtière dans une position favorable pour négocier, par exemple, une prolongation des prestations pour cette catégorie de chômeurs. «Ces travailleurs âgés disparaissent des statistiques du Seco», avertit Daniel Lampart.
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«La réalité du marché du travail est une question vaste et complexe. La statistique du chômage constitue un élément pour en comprendre certains aspects, mais elle ne doit pas masquer les autres indicateurs», conclut Boris Zürcher.
Obligation d’annonce: des points restent à améliorer
Le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) a dressé mardi un premier bilan de l’obligation d’annonce des places vacantes – en primeur et pendant cinq jours – par les employeurs aux Offices régionaux de placement. Entrée en vigueur en juillet dernier, elle concrétise la volonté du parlement d’appliquer l’initiative «Contre l’immigration de masse» en favorisant les demandeurs d’emploi déjà dans le pays. «Depuis son introduction, les ORP et les employeurs ont renforcé leur collaboration», s’est réjoui Boris Zürcher, chef de la Direction du travail du Seco devant la presse.
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Reste que si la législation fixe des sanctions en cas de non-respect (jusqu’à 40 000 francs d’amende), elle ne prévoit pas de système de contrôle. Par ailleurs, les offres réservées aux chômeurs inscrits ne sont visibles que sur la plateforme, créée à cet effet, Travail.swiss. Celle-ci nécessite un login. Or seuls 18% des chômeurs se sont dotés de codes d’accès, faute d’information. «Nous travaillons avec les cantons et les ORP pour améliorer ces deux points», indique Boris Zürcher. Pour l’heure, cette procédure concerne les groupes de professions qui présentent des taux de chômage de 8% ou plus, principalement dans l’hôtellerie et la construction. Dès 2020, le seuil sera ramené à 5%.