Même si le taux de propriétaires de leur logement en Suisse (environ 30%) est relativement bas en comparaison européenne, l'accession à la propriété constitue pour la plupart d'entre nous un objectif de vie prioritaire. Les ménages ayant réalisé cet objectif en acquérant une villa ou un appartement en PPE, ainsi que ceux qui cherchent à devenir propriétaires, sont intéressés à connaître la valeur du bien immobilier. Ainsi, un propriétaire aimerait connaître l'évolution de la valeur de son appartement ou de sa villa au cours du temps, pour cerner par exemple l'impact d'une crise immobilière. Cela l'intéressera également en cas de litige fiscal ou s'il envisage de revendre le bien ou de procéder à un partage dans le cadre d'une succession. Une estimation fiable de l'objet permettra à l'acheteur potentiel de prendre sa décision dans les meilleures conditions.

La méthode hédoniste est de plus en plus utilisée pour estimer la valeur de biens immobiliers. Elle a l'avantage de remédier aux inconvénients des méthodes d'évaluation traditionnelles, comme la valeur de rendement. Cette dernière, notamment, donne des résultats trop sensibles au choix des paramètres utilisés, tels que le loyer imputé et le taux de capitalisation retenu par l'expert.

En revanche, la méthode hédoniste permet d'estimer de manière plus objective la valeur d'un objet, à partir de ses caractéristiques propres. Les bases de la méthode hédoniste reposent en effet sur des études faites par des économistes dans les années 60 qui ont montré que pour des biens hétérogènes, comme l'immobilier, les individus retirent de l'utilité non pas uniquement du bien lui-même mais surtout des caractéristiques de celui-ci. Ainsi la satisfaction provient de la surface habitable, de la notoriété de la commune ou du quartier, de la qualité de la localisation dans ces dernières, du calme, de l'état d'entretien du bâtiment, etc. Il s'agit alors de déterminer le prix de chacune de ces caractéristiques. D'un point de vue technique, ces prix sont obtenus en ayant recours à des méthodes statistiques: on utilise des modèles de régression et les prix des caractéristiques sont donnés par les coefficients de la régression. Les modèles de régression se fondent sur les transactions du marché et sont mis à jour chaque trimestre. Il suffit alors de multiplier les prix des caractéristiques par la quantité de chacune d'elles contenue dans un objet donné, et d'additionner les produits ainsi obtenus. On obtient alors une estimation de la valeur directement fondée sur des transactions au prix du marché. L'estimation sera très fiable si l'objet est assez typique par rapport aux transactions effectuées sur le marché (ce qui sera le cas pour environ 90% des objets). Si un bien est atypique (par exemple, une villa de 4 millions de francs à Cologny ou une villa avec une réserve de terrain importante), ceci sera mis en évidence par le système et il conviendra de considérer l'estimation de manière très prudente. Cette méthode comporte en outre deux autres avantages: les évaluations sont plus rapides et moins onéreuses que par les méthodes traditionnelles.

En Suisse, les modèles hédonistes sont notamment développés par le CIFI (Centre d'information et de formation immobilières) depuis bientôt dix ans. Ils existent pour les villas et les appartements en PPE depuis 1996. Pour les immeubles de rapport, le CIFI a en outre développé des modèles d'aide à la gestion destinés aux investisseurs institutionnels (caisses de pension, compagnies d'assurance et fonds immobiliers) et aux banques.

Les modèles hédonistes constituent à notre avis clairement l'avenir en matière d'évaluation des biens immobiliers. Pour qu'ils soient représentatifs du marché, il faut toutefois qu'ils se basent sur un nombre suffisant de transactions. De plus, il faut que les caractéristiques du bien aient été mesurées de manière précise. Si la plupart peuvent être mesurées assez facilement (surface, année de la construction, etc.), d'autres sont de nature qualitative (état du bâtiment, qualité de la localisation dans la commune ou le quartier), et les connaissances de l'expert seront alors très utiles. Les experts auront également un rôle prépondérant à jouer pour les 10% d'objets atypiques, pour lesquels la méthode hédoniste est peu appropriée.

Professeur ordinaire de gestion financière de l'immobilier à l'Université de Genève (Hautes Etudes commerciales) et de finance à l'Université d'Aberdeen (Grande-Bretagne).