Le système du 2e pilier paraît bien rodé et parfaitement encadré par la loi. Les caisses de pension encaissent des cotisations via les employeurs et les employés, les placent sur le marché, et les capitaux investis et bloqués en vue de la retraite de chacun des employés sont garantis par un arsenal juridique qui empêche toute spéculation. Plus de 700 milliards de francs sont dans la cagnotte gérée par les caisses de pensions.

La réalité n'est pas aussi rose qu'il n'y paraît, en particulier lors de la gestion des fonds de libre passage, c'est-à-dire en cas de changement d'employeur ou d'arrêt de travail, qui entraîne un transfert de l'argent de prévoyance vieillesse sur un nouveau compte d'épargne obligatoire.

50 milliards de francs d'avoirs de libre passage ne sont pas gérés par les caisses de pension, mais sont disséminés sur 2 millions de comptes bloqués dans 65 établissements, constate le Contrôle fédéral des finances (CDF) dans un rapport critique publié mardi.

Organisme fort d'une centaine de personnes chargé de vérifier l'efficacité des services de la Confédération, le CDF met le doigt sur des lacunes liées aux avoirs de libre passage. L'information circule très mal puisqu'un tiers des comptes sont en déshérence, autrement dit, les banques ou les assurances qui ont ouvert ces dépôts n'ont plus de contact avec leurs bénéficiaires.

Concrètement, 5 milliards de francs, sur les 50 milliards en libre passage, dorment sur 625 000 comptes à l'insu de leurs détenteurs. Comment est-ce possible? La triangulation entre employeur, caisse de pensions et employé fonctionne mal, car presque tout repose sur la responsabilité de l'employé. Si ce dernier ne s'inquiète pas de son avoir de 2e pilier lors d'un changement d'activité, des automatismes se mettent en place.

Lorsque la caisse de pensions ne reçoit pas d'instructions de l'employé sur la nouvelle institution qui doit recevoir son avoir de prévoyance, l'argent est versé sur un compte individuel, de six mois à deux ans après son départ de l'entreprise, sans qu'il en soit forcément averti. Ce sont le plus souvent des petits montants accumulés lors de plusieurs emplois de courte durée. 80% des comptes en déshérence ont un solde inférieur à 5000 francs.

«On peut parler d'une erreur du système s'il y a autant de cas de comptes dont on a perdu la trace du bénéficiaire», souligne Mathias Rickli, l'un des auteurs du rapport du CDF. Le manque d'informations est patent. Lors d'un sondage représentatif, seuls 32% des personnes interrogées par le CDF estiment qu'elles sont bien informées lors de leur sortie de la caisse de pensions.

Les règles bancaires pour les avoirs en déshérence, par exemple liées à des fonds juifs, ne s'appliquent pas dans le cas du 2e pilier. Les banques ne doivent pas effectuer des recherches étendues spontanées. Si le bénéficiaire d'un compte de 2e pilier, dont le nom est connu, ne donne plus signe de vie, elles ne le cherchent pas activement. Si cette personne a droit à l'AVS, elle a cependant des chances d'être retrouvée à l'âge de la retraite.

Le système repose donc largement sur la responsabilité individuelle de l'assuré. «C'est comme pour toucher l'AVS à 65 ans, dans le système du 2e pilier aussi l'assuré doit réclamer son dû placé sur un compte de libre-passage. Par chance, il bénéficie de l'aide du Fonds de garantie LPP», note Mathias Rickli.

Le CDF fait cinq recommandations pour mieux gérer les avoirs de libre passage, mais la plupart d'entre elles sont rejetées par l'Office fédéral des assurances sociales.