Citoyens, réappropriez-vous la finance!
Un oeil sur la place financière
AbonnéCHRONIQUE. Des outils de finance durable existent. La participation de larges pans de la société est requise pour les rendre plus efficaces

«Actionnaires, rebiffez-vous!», prescrit Aline Bassin dans l’éditorial du Temps du 22 avril dernier. L’auteure décrit des actionnaires majoritairement dociles et peu regardants sur la gouvernance des entreprises dont ils sont copropriétaires, comme Credit Suisse ou Nestlé. Rebondissons.
L’engagement actionnarial qu’elle appelle de ses vœux constitue l’une des principales approches de la finance durable, un mouvement structuré depuis 2005 sous l’égide des Nations unies par les Principes pour l’investissement responsable (PRI).
Cette approche intervient après l’investissement et recouvre l’exercice du droit de vote en assemblée générale, le dépôt de résolutions, le dialogue avec la direction et l’établissement de coalitions thématiques sur des enjeux de durabilité. En témoignent le travail de la fondation Ethos, en Suisse, l’initiative Climate Action 100 +et, aux Etats-Unis, l’adoption récente par la majorité des actionnaires, dont le fonds souverain norvégien, d’une résolution imposant à Starbucks un audit sur le respect des droits syndicaux.
Avant d’investir
En plus de l’engagement actionnarial, la finance durable couvre aussi, et d’abord, ce qui peut être fait avant d’investir: sélectionner des placements en fonction de critères additionnels au couple risque-rendement, comme la conformité à des valeurs morales et l’impact sur la société et l’environnement.
S’il connaît un fort succès en termes d’actifs sous gestion, ce type de placements crée aussi des frustrations à la hauteur de ses ambitions, des soupçons d’écoblanchiment (greenwashing).
Différents acteurs s’efforcent de le rendre plus efficace. Cela nécessite une participation accrue de larges pans de la société, jusqu’aux citoyens eux-mêmes. Les pouvoirs publics se sont emparés du sujet pour le réglementer, ce qui est plus facile à dire qu’à faire.
Aux Etats-Unis, il suscite un important clivage entre démocrates et républicains. En Europe, les politiques volontaristes de l’UE sont chahutées par les intérêts nationaux. En Suisse, les autorités facilitent l’adoption d’autorégulations au sein des organisations professionnelles.
Autorégulation favorisée en Suisse
En cas de oui à la loi climat soumise à votation populaire le 18 juin prochain, le Conseil fédéral établira avec ces organisations «des conventions visant à rendre les flux financiers compatibles avec les objectifs climatiques».
Approuvée par l’ensemble des partis à l’exception de l’UDC, la loi climat est également soutenue par l’Association suisse des banquiers: «Le secteur financier considère que le projet est un compromis modéré, favorable à l’économie et de nature à permettre d’atteindre l’objectif «zéro émission nette» d’ici 2050».
Tous les investisseurs peuvent peser
Les investisseurs institutionnels peuvent aussi donner aux citoyens des moyens de peser davantage sur les flux financiers, en particulier les institutions de prévoyance professionnelle. Le regard de Jacques Grivel, directeur de Fundo [une société de gestion spécialisée dans le risque «actions» des portefeuilles des clients institutionnels, ndlr]: «Détenant une part significative du capital des sociétés cotées, les caisses de pension représentent, potentiellement, un lieu de participation démocratique important. Le changement peut aussi venir par le bas avec des assurés qui demandent: «Que faites-vous avec l’argent de ma retraite?» Certains dirigeants de caisses envisagent d’établir un dialogue direct avec leurs assurés sur les questions de durabilité des placements.»
Les investisseurs privés ne sont pas en reste. Dans la banque de détail comme dans la gestion de fortune, une révolution de velours se déroule actuellement. En effet, les directives des organisations faîtières stipulent que les conseillers à la clientèle doivent désormais sonder les investisseurs sur leurs préférences en matière de durabilité, au-delà des questions de risque, de rendement et de liquidité.
Cet élargissement du profilage des clients représente lui aussi un gisement important de participation citoyenne. Il génère également des besoins en formation, tant du côté des conseillers que de celui des clients.
Davantage de formations
L’offre de formation continue en finance durable s’est considérablement développée au cours des dernières années, dans les hautes écoles comme dans les instituts privés. Les professionnels de la finance suivent ces formations tant pour des raisons de carrière que par intérêt personnel. Dans les universités, on observe une augmentation des projets de recherche en matière de finance durable.
L’académie participe aussi au débat public, à l’image des propositions pour verdir les investissements de la Banque nationale suisse contenues dans un livre blanc publié par le centre E4S (UNIL, IMD, EPFL).
Une plus grande participation citoyenne aux affaires financières requiert également l’appropriation des outils de la finance durable par les corps intermédiaires. Certaines organisations non gouvernementales comme le WWF ou Greenpeace jouent depuis plusieurs années un rôle d’aiguillon critique en publiant des études et classements sur l’intégration de la durabilité par les caisses de pension et les banques de détail.
Des sympathisants d’Extinction Rebellion imaginent des assemblées citoyennes permettant aux employés siégeant dans les conseils de caisses de pension de se former au contact de scientifiques. Les syndicats et partis politiques ont aussi un rôle plus actif à jouer, ce qui nécessite, pour certains, une clarification de leur rapport au capitalisme.
Bien qu’imparfaits, les instruments de finance durable ont le mérite d’exister et d’offrir des moyens d’action à la population et aux organisations sensibles à l’intérêt public. A nous de les apprivoiser, de les améliorer, de les utiliser.