En Suisse, la consommation de jus d’orange est stable: d’année en année, on en importe entre 30 et 40 millions de kilos, principalement du Brésil. En ces temps de pandémie, la chaîne d’approvisionnement est bousculée mais les foules, confinées, semblent avoir plus soif que jamais. En 2020, les importations ont massivement augmenté: plus de 17 millions de kilos de janvier à avril, contre moins de 12 millions sur la même période l’an dernier et les prix sont en hausse, selon les douanes. Comme d’habitude, le nectar arrive surtout du Brésil.

Une enquête publiée ce lundi par Public Eye, sur les conditions de travail dans les cultures d’oranges au pays de Jair Bolsonaro, tombe donc à pic. Lors d’un séjour dans l’Etat de São Paulo en février, un enquêteur de l’ONG helvétique s’est penché sur le cas des fournisseurs ou autres filiales d’un géant des matières premières siégeant à Genève, Louis Dreyfus Company (LDC).

Les conditions de vie des cueilleurs, des «forçats» qui viennent souvent du nord du pays, sont précaires et elles se détériorent avec les années, pointe l’ONG. Les salaires sont souvent inférieurs au minimum légal chez des fournisseurs de LDC qui utilisent par ailleurs régulièrement des pesticides sans équipement de protection. Le groupe genevois respecterait pour sa part la loi dans ses rémunérations à ses salariés.

Présent sur toute la chaîne

LDC et les sociétés brésiliennes Cutrale et Citrosuco se partagent à elles seules 75% du marché mondial du jus d’orange, relève l’ONG. De quoi influencer à leur avantage les conditions-cadres et les tarifs, quitte à fixer le prix d’achat des fruits à un niveau parfois en dessous des coûts de production et concentrer encore plus le marché, selon l’ONG. Depuis le début des années 1990, 20 000 exploitations ont renoncé à la culture d’oranges car elle n’était plus rentable et il en reste 7000, selon l’association brésilienne des producteurs d’oranges, Associtrus.

L’intégration est également verticale. Jadis un pur négociant, LDC intervient désormais tout au long de la chaîne de valeur. La multinationale possède 38 plantations d’agrumes au Brésil, sur 25 000 hectares. Elle détient trois usines de transformation d’oranges, en concentré ou en jus, et emploie 8000 personnes au Brésil. Le groupe possède des terminaux portuaires pour le stockage du jus, à Santos, au Brésil, et à Gand, en Belgique, et trois navires pour son transport. LDC dit offrir ses services «de la ferme à l’assiette».

Mais il n’assume pas ses responsabilités sur cette chaîne logistique, selon Public Eye, qui souligne que l’inspection du travail brésilienne a enregistré près de 200 violations du droit du travail par LDC dans le secteur des agrumes ces dix dernières années.

«Vu le niveau du salaire minimum au Brésil, le débat est surtout éthique. Est-ce juste de payer des gens moins de 200 francs par mois pour cueillir jusqu’à 3 tonnes de caisses d’oranges par jour?» demande Adrià Budry Carbó, enquêteur chez Public Eye.

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«Non seulement nous respectons les lois du travail au Brésil, mais nous nous efforçons constamment d’aller au-delà pour nous assurer que nos employés, permanents et saisonniers, travaillent dans un contexte sûr et sain et se voient offrir des avantages sociaux équitables et encourageants», répond le service de presse de LDC, contacté par nos soins.

L’entreprise dit avoir un code de conduite exigeant de ses fournisseurs qu’ils respectent les règles en matière de droits de l’homme, de santé et de sécurité, d’intégrité commerciale et d’environnement. «Nous travaillons en permanence avec nos fournisseurs pour que les règles soient respectées, indiquent les porte-parole. Si nous observons des problèmes, nous travaillons à leurs côtés pour les aider à se mettre en conformité. Si ces efforts échouent, nous cessons de commercer avec eux.»

Le coronavirus engendre de nombreuses paralysies au Brésil mais la faîtière des exportateurs d’oranges, CitrusBR, indiquait en avril que la chaîne de production fonctionnait normalement. Les oranges brésiliennes, on continue cette année de les retrouver dans plus de la moitié des jus d’orange consommés dans le monde.