Transport
Le numéro un mondial de la mobilité 2.0 recense une myriade de rivaux à l’international. Ces derniers, à des niveaux de développement très divers, sont pour l’heure absents du marché helvétique. Jusqu’à quand? La start-up britannique Karhoo, par exemple, réfléchit déjà à poser un pied dans le pays

Voilà plus d’un an qu’Uber fait trembler les taxis en Suisse. À terme, il ne devrait plus être le seul. Sa stratégie du rouleau compresseur ferait presque oublier que la société californienne cache, dans son sillage, une galaxie de concurrents, plus ou moins sérieux. À commencer par Lyft, son plus gros rival américain. Mais aussi l’israélien Gett (présent notamment à Londres et à Moscou), le britannique Hailo (à la recherche de marchés alternatifs à l’Amérique du Nord). Acteurs auxquels s’ajoutent, en vrac: le madrilène Cabify (sur le point de conquérir l’Amérique latine), l’indien Ola ou encore Didi Kuaidi, qui domine le marché chinois.
Tous ces noms ont pour point commun une volonté féroce à ravir des parts de marché à Uber. Y compris helvétique, pour certaines. C’est, potentiellement, le cas du dernier né de la famille des fournisseurs d’applications destinées au transport de personnes: Karhoo. Cette entreprise en démarrage, fondée voilà dix mois par un serial entrepreneur londonien basé à New York, a dernièrement levé 250 millions de dollars. Elle affiche déjà ses appétits: «En 2016, nous allons activer plusieurs marchés en Europe, aux États-Unis et en Asie», souligne au Temps, Paul Brannon, responsable médias de la société. D’accord, mais la Suisse? «Nous y réfléchissons aussi», résume-t-il.
Interactif. Uber ou les taxis, qui est le meilleur?
Les rumeurs ont longtemps laissé penser que d’autres spécialistes de la branche lorgnent aussi le territoire helvétique. «Pour l’heure, nous ne prévoyons pas de nous établir en Suisse, ni ailleurs en Europe», réfute Paige Thelen, directrice de la communication chez Lyft. Pourtant, cette start-up lancée en 2012 sur les terres d’Uber est actuellement valorisée 2,5 milliards de dollars. C’est certes 20 fois moins qu’Uber, mais la société est, elle, rentable. Elle a multiplié par 100 son chiffre d’affaires entre 2013 et 2014. Et envisage d’embellir ses recettes de 512% cette année, à 796 millions de dollars (ndlr: ce que gagnerait Uber en huit mois de l’année 2013, d’après une fuite d’information).
Expansion indirecte
La Suisse manque-t-elle d’attractivité? «La concurrence n’est pas au même stade de développement qu’Uber. Elle ne peut pas encore défendre une stratégie d’implantation internationale tous azimuts», estime Emmanuel Ravalet, socio-économiste de la mobilité des personnes et chercheur à l’EPFL. Et le spécialiste de nuancer: «Mais vu l’essor du secteur, je ne vois pas pourquoi, à terme, les grandes villes européennes, en général, et les plus grosses agglomérations helvétiques, en particulier, lui résisteraient.»
À en croire toutefois Thomas Straub, directeur de la formation continue de la nouvelle faculté d’économie et de management à Genève, Uber serait déjà devenu trop puissant en Suisse pour laisser une place à ses adversaires. Pour preuve, l’alternative locale Tooxme, soutenue par le TCS, a suspendu son offre en avril dernier, après environ deux ans d’activités, victime de la force de frappe de l’actuel leader mondial de la mobilité 2.0. «La Suisse est un marché relativement exigu, cher en termes opérationnels et comporte des risques – comme une législation très fragmentée – que certains concurrents ne souhaitent manifestement pas prendre. Ce d’autant plus qu’Uber a déjà passablement absorbé le potentiel existant», analyse-t-il.
Les rivaux chinois, eux, ont de toute manière une approche moins frontale: «Ils peinent à maîtriser la complexité réglementaire et culturelle en Europe ou en Suisse. Ils préfèrent donc acquérir des parts de société déjà actives sur place pour étendre leur périmètre d’influence. Les Chinois étant opportunistes, ils pourraient patienter jusqu’à ce qu’une application helvétique – pourquoi pas de taxis traditionnels – se fasse connaître avant de passer à l’offensive», signale Jialu Shan, associé de recherche à l’IMD.
Modèle coopératif
De son côté, Emmanuel Ravalet insiste: «Uber joue un rôle d’éclaireur. Ses ennemis apprennent de ses erreurs. Et attendent le signal pour débarquer à leur tour.» Genève, par exemple, avec son projet de nouvelle loi sur les taxis intégrant la donne Uber, pourrait devenir une prochaine terre d’accueil. Contrairement à d’autres villes européennes, où la greffe Uber s’obstine à ne pas prendre. Exemples récents: l’entreprise californienne a suspendu la semaine passée ses activités de Francfort, de Hambourg et de Düsseldorf. Sa variante qui fâche le plus, UberPop – avec conducteur amateur –, est aussi interdite en France, en Belgique, en Italie en Espagne et aux Pays-Bas. Elle est toujours vivement contestée partout ailleurs, notamment à Lausanne.
Qu’importe, estime Emmanuel Ravalet, le numérique appliqué à la mobilité est amené à balayer l’establishment. «Les nouveaux venus comme Karhoo, dont la force est non pas d’affronter mais de s’adosser aux professionnels du transport existants, pourraient plus rapidement tirer leur épingle du jeu», conclut-il. La jeune pousse vient en effet de conclure des partenariats avec le plus grand groupe de taxis londoniens. Idem à New York, où sa flotte dépasse allègrement les 10 000 véhicules.