Les tensions viennent de monter d’un cran entre les propriétaires du Starling à Genève et son voisin Palexpo. Pomme de discorde: la construction d’un nouvel hôtel, dans l’enceinte du site d’exposition. Voilà quinze ans environ que Palexpo rêve d’ériger son propre hébergement. Son projet, qui a déjà affronté plusieurs écueils, est aujourd’hui à nouveau contrarié. Il pourrait néanmoins être maintenu, en l’état ou moyennant certains aménagements, mais risque aussi de se voir repoussé d’encore quelques années. Explications.

Dans sa dernière version, le plan de Palexpo prévoyait de réaliser un établissement économique, accolé aux halles 4 et 5. Objectif: loger, à moindres frais, certains visiteurs, mais en priorité les ouvriers chargés du montage et du démontage des salons, notamment celui de l’automobile. Ces derniers avaient en effet pris pour habitude de dormir dans des hamacs, directement sur place, au-dessus des installations, voire de trouver refuge dans des lieux d’hébergement en France voisine. Ce qui, outre le fait d’engendrer un manque à gagner pour Genève, accentuait les problèmes de mobilité lors de grandes manifestations.

Les demandes d’autorisations de construire cet hôtel avaient été déposées en janvier dernier. Le projet, malgré plusieurs embûches, devait finalement se concrétiser fin 2016, avec un commencement des travaux prévu en début d’année. Même la société d’exploitation, le groupe Accor – à travers sa franchise Ibis –, parmi les leaders mondiaux de l’industrie hôtelière, avait été désignée.

Une étoile en plus, 
glissée en toute discrétion

L’ambition de nuitées à Palexpo est aujourd’hui compromise. L’établissement voisin, l’hôtel Starling, a fait opposition il y a deux mois, a appris Le Temps. La raison? «Elles sont multiples», résume Me Jean-Pierre Jacquemoud, défenseur des intérêts de la société immobilière genevoise Strader, détenue notamment par le banquier privé René de Picciotto, lequel est actionnaire majoritaire du Starling à travers la société Cofis.

Principal grief du Starling: «Dans son appel d’offres de 2009, Palexpo prévoyait la construction d’un simple hôtel économique, de catégorie comprise entre une et deux étoiles», précise l’avocat. Bien que cette perspective pût entraîner un transfert de clientèle vers Palexpo, le Starling avait pris acte du projet, sans l’attaquer, au motif que Genève manque d’infrastructures d’entrée de gamme.

Le concept de Palexpo visait à l’origine à offrir un gîte pour les petits budgets, avec des chambres comprises entre 60 et 80 francs la nuit. Mais les visées du centre d’expositions genevois ont, au fil des mois, pris une tout autre tournure. «Nous avons appris, début 2014, qu’en réalité il avait décidé, unilatéralement et dans le plus grand secret, de sortir du cadre du concours, en lançant des travaux pour un établissement non plus de deux étoiles uniquement, mais assorti d’infrastructures trois étoiles», déplore Me Jean-Pierre Jacquemoud. Le choix d’une telle formule hybride aurait été motivé par la crainte de Palexpo de ne pas réussir à remplir un hôtel 100% économique, par ailleurs dépourvu de service de restauration.

Nous demandons simplement que le projet d’origine [d’hôtel à petits budgets] soit respecté

Le Starling, enseigne à l’origine cinq étoiles, mais qui s’est auto-rétrogradée en quatre étoiles voilà plus de deux ans, accuse à présent son voisin d’attitude «déloyale». Les intentions revisitées de Palexpo, avec lequel d’importantes synergies ont traditionnellement cours, proposent un peu plus de 100 chambres deux étoiles et près de 130 autres de catégorie supérieure, au tarif moins abordable d’environ 150 francs la nuitée. Soit au total près de 230 chambres, ventilées sur deux bâtiments distincts. Budget envisagé pour le chantier: environ 30 millions de francs (hors foncier), sachant que le coût de réalisation de chaque chambre trois étoiles serait estimé à 150 000 francs en moyenne. Contacté, Palexpo n’a pas retourné nos appels.

Enorme désavantage comparatif

Pourquoi Strader est-il en désaccord avec cette initiative hôtelière du voisin de son établissement? Dans l’espoir de conserver le Salon Télécoms de 2003, le Conseil d’Etat genevois avait à l’époque invité les propriétaires du Starling à développer davantage leurs capacités d’accueil. Ce que ces derniers ont fait, ajoutant 200 chambres – l’hôtel est depuis devenu le plus gros porteur du pays – et investissant dans plusieurs salles de conférences supplémentaires. «Pour son futur hôtel, Palexpo met à disposition ses parkings et autres infrastructures, ce qui représente une économie de coût de construction énorme. C’est un sérieux avantage face aux difficultés que traverse notre branche avec le franc fort. Sans oublier le fait qu’un 3-étoiles viendra concurrencer directement plusieurs hôtels alentour, dont le Nash et l’Express», énumère Pierre Jotterand, directeur chez Cofis.

Les opposants demandent aujourd’hui à Palexpo de revoir sa copie. «Nous demandons simplement que le projet d’origine soit respecté», souligne Me Jean-Pierre Jacquemoud, dont l’opposition n’a pas pour origine des questions de concurrence, mais est liée à des considérations de construction et d’aménagement. Raison pour laquelle, le 30 novembre dernier, les juges ont avalisé l’interdiction de commencer les travaux de l’Ibis. Tenant compte de probables recours cantonaux et fédéraux, l’épilogue de cette saga hôtelière pourrait être reporté à 2018. «Si Palexpo accepte de construire au maximum 50% de chambres trois étoiles, sans restaurant, cette concurrence deviendrait alors acceptable et licite. Nous pourrions dans ce cas retirer notre opposition», conclut l’avocat de Strader.