La Suisse a-t-elle raté le tournant numérique? Le Conseil fédéral entend démontrer le contraire. Jeudi, il a dévoilé sa stratégie numérique révisée, à laquelle il a joint un plan d’action ambitieux qui contient pas loin de 111 mesures pour mettre en œuvre ses objectifs. Lors d’une conférence de presse à Berne, des directeurs de différents organes de la Confédération en ont expliqué quelques-unes à titre d’exemple.

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Concrètement, les sept Sages ont retenu quatre thèmes prioritaires: les smart cities, l’intelligence artificielle, la collaboration entre l’Etat fédéral et les cantons et la numérisation de l’administration fédérale. Au-delà des grandes lignes, le plan d’action propose des mesures dans presque tous les domaines d’activité: formation, santé publique, agriculture, planification du territoire, etc. En ce qui concerne leur mise en œuvre, le Conseil fédéral préconise la coopération avec un grand nombre d’acteurs du privé et du public. En outre, il souhaite renforcer les synergies entre les départements et entre les cantons.

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Un projet tentaculaire

Le défi numérique concerne tellement de domaines de la société qu’il est difficile de s’y retrouver dans la pléthore de propositions. Christian Bock, directeur de l’Administration fédérale des douanes, parle d’automatiser le processus de contrôle pour qu’à terme les 50 000 camions qui traversent quotidiennement la frontière ne soient plus obligés de s’arrêter.

Fridolin Wicki, patron de Swisstopo, évoque les possibilités qu’offre la géolocalisation en matière de développement du territoire. Il est également question de mettre en œuvre le dossier électronique du patient ou de créer une banque d’adresses communes pour optimiser les processus administratifs, de favoriser l’utilisation de drones dans l’agriculture ou de réfléchir aux nouvelles possibilités de mobilité grâce aux véhicules autonomes.

Omniprésence, oui. Omnipotence, non

La copie du Conseil fédéral, si elle ne manque pas de rappeler l’excellence helvétique en matière d’innovation, laisse néanmoins certains observateurs sur leur faim. Pour l’avocat et préposé du Valais en matière de sécurité numérique, Sébastien Fanti, la nouvelle stratégie numérique consacre la formule «hâtons-nous lentement». Il juge sévèrement le plan d’action, estimant qu’il n’est ni assez ambitieux ni assez rapide. «Dans le domaine numérique, nous survivons, avec des Sages qui ne le sont pas en la matière», assène-t-il. Du reste, il se déclare pessimiste quant à la capacité du pays à rattraper son retard.

Plus mesuré, l’avocat expert en technologies avancées Michel Jaccard salue le fait que le Conseil fédéral prenne conscience de l’omniprésence de la technologie dans la vie des citoyens. Il reste cependant sceptique face à la foi aveugle que le plan d’action semble accorder aux nouvelles technologies pour régler les problèmes de société. Par ailleurs, il estime que la stratégie préconisée par le Conseil fédéral ne s’appuie pas suffisamment sur les travaux qui existent déjà dans la société privée et le monde académique. «A ce jour, une stratégie numérique efficace en Suisse nécessite moins de groupes de travail et plus de moyens financiers directement à disposition de l’économie privée et de la recherche.»