«La consommation intensive d’énergie dans la blockchain n’est pas une fatalité»
Technologie
Bien que le bitcoin consomme beaucoup d’énergie, la blockchain peut nous aider à «programmer un monde durable», d’après Shermin Voshmgir, spécialiste de la crypto-économie à l’Université d'Economie de Vienne. Elle sera l’une des intervenantes du prochain TEDxCERN, mardi 20 novembre à Genève

Le bitcoin et sa blockchain représentent un gouffre à énergie. Mais est-ce vraiment pire que les autres systèmes de paiement? Aucune vraie comparaison n’a été faite, souligne Shermin Voshmgir. En outre, il existe des centaines d’autres blockchains qui fonctionnent différemment, souligne celle qui dirige l’Institut de recherche sur la crypto-économie de l’Université d'Economie de Vienne. Cette spécialiste, qui interviendra dans le cadre du prochain TEDxCERN – événement organisé le 20 novembre à Genève par le CERN en partenariat avec Le Temps –, préfère se concentrer sur trois aspects de la blockchain qui pourraient s’avérer favorables à la protection de l’environnement.
Le Temps: Le bitcoin et sa blockchain nécessitent beaucoup d’énergie pour fonctionner, mais vous estimez que dire cela est réducteur, pourquoi?
Shermin Voshmgir: Ce n’est pas faux de dire que le bitcoin est gourmand en énergie, mais ce n’est pas juste non plus. On parle toujours en chiffres absolus. Quelle est l’empreinte carbone des banques? Nous l’ignorons. Nous savons seulement qu’elles doivent faire des transactions, qu’elles utilisent des centres de données, qu’elles ont leurs propres bâtiments et filiales et que tout cela nécessite de l’énergie. Tout est transparent dans le fonctionnement de la blockchain, donc c’est facile de savoir qui consomme quoi et combien, mais c’est injuste de la disqualifier à cause de cela. Nous venons de commencer une recherche pour faire une vraie comparaison entre ces systèmes, mais c’est encore beaucoup trop tôt pour esquisser des résultats.
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Existe-t-il d’autres blockchains moins gourmandes en énergie?
Oui, il existe des centaines d’autres blockchains. Le bitcoin n’est que l’une d’entre elles et c’est un dinosaure. Certaines ont besoin de moins d’énergie et des recherches sont en cours pour trouver des moyens de réduire cette consommation. Le système de consensus et de validation des transactions du bitcoin, basé sur la proof of work (preuve de travail), est très énergivore. Mais deux autres techniques se développent, la proof of stake ou la proof of space, qui ne nécessitent pas autant d’énergie. Sans entrer dans le détail de leur fonctionnement, on peut dire que la consommation intensive n’est donc pas une fatalité.
Vous dites que la blockchain peut nous aider à «programmer un monde durable», comment?
La blockchain peut nous aider de trois manières. En premier lieu, elle met fin aux informations en silo, en rendant toutes les données transparentes et accessibles. Cela signifie qu’on peut connaître la provenance des produits que l’on achète avec certitude. Ce qui est Swiss made l’est-il complètement? La blockchain nous permettrait de le savoir, sans devoir se fier à un tiers. Idem pour la traçabilité de la nourriture par exemple. Le registre distribué permet cette transparence et donne aux consommateurs les moyens de prendre des décisions plus informées, sans faire confiance à des tiers et pas avec des analyses faites après coup et donc trop tard pour avoir une influence.
Il serait plus facile d’agir sur notre empreinte carbone si nous en connaissions les détails
Shermin Voshmgir
Il s’agit donc surtout d’un moyen d’augmenter la confiance…
Oui, nous n’avons plus besoin de faire confiance à des gens ou à des institutions, qui, de plus, sont parfois inefficaces. Et la blockchain est aussi une machine à responsabiliser, c’est le deuxième élément. Cette transparence est utile pour lutter contre la corruption, l’incompétence ou l’excès de bureaucratie. Dans le cas des émissions de CO2, comment les mesure-t-on, alors que l’une des difficultés est justement que l’on doit se contenter de données qui ne sont pas vérifiées? La blockchain peut aussi servir à cela.
Vous parlez d’un troisième avantage de la blockchain, de quoi s’agit-il?
Elle permet par exemple de donner des jetons (ou token) pour motiver les bons comportements. Une municipalité pourrait récompenser ses citoyens qui se déplacent avec les transports publics, par exemple. Nous manquons d’informations sur nos propres émissions carbone. Nous savons que nous foutons en l’air la planète, mais pas précisément comment ou par quels actes. Il serait plus facile d’agir sur notre empreinte carbone si nous en connaissions les détails.