Après la banque («fintech») et l’assurance («insurtech»), quel sera le prochain secteur à vivre sa révolution technologique? C’est le monde conservateur des cabinets d’avocats qui s’apprête à changer ses habitudes de travail. On commence d’ailleurs à parler de «legaltech» pour décrire les centaines de startups juridiques qui naissent en ce moment en Europe et aux Etats-Unis.

Gestion des processus internes, des tâches et des délais, recherche jurisprudentielle, analyse de documents, activités de veille en matière de propriété intellectuelle sont quelques exemples des domaines dans lesquels un nombre croissant de solutions logicielles innovantes sont disponibles. La technologie trouve en face d’elle un environnement propice à la réduction des coûts d’une part, et d’autre part une nouvelle génération d’avocats, des «digital natives» prêts à changer leurs habitudes de travail pour gagner en efficacité.

Un changement plus profond encore s’annonce avec l’arrivée des premières applications basées sur la Blockchain, la technologie à la base de la monnaie numérique Bitcoin. Cette base de données distribuée permet de stocker des informations, telles que des documents juridiques, de façon hautement sécurisée. Elle permet également d’identifier des utilisateurs de manière unique et de créer une chaîne d’événements automatiques dépendants de la réalisation d’une condition. Grâce à ces éléments, on pourra créer des contrats qui s’auto-exécutent, transformant par là le rôle de rédaction juridique en un rôle similaire à un programmeur qui développerait un logiciel, créant une suite logique d’actions et de conséquences.

Vers une «économie de la confiance»

Prenons un exemple concret. Imaginons qu’une nouvelle société soit créée et que les certificats d’actions soient émis sous forme numérique et déposés sur la blockchain. Puis que le pacte d’actionnaires, qui prévoit un droit de préemption en faveur des co-actionnaires, le soit également. Lorsque l’un des actionnaires vend une action à un tiers hors du cercle d’actionnaires actuel de la société, un contrôle des conditions liées à la vente est automatiquement déclenché. Le système détecte le droit de préemption et génère un nouveau contrat, aux mêmes conditions que le premier mais cette fois à destination des co-actionnaires. Ils sont notifiés sur l’adresse qu’ils ont choisie et disposent du délai prévu par le contrat d’actionnaires pour accepter ou décliner l’offre. Une fois la vente confirmée, le registre des actionnaires est immédiatement actualisé et les documents nécessaires pour valider le changement sont produits automatiquement.

Un tel système est techniquement réalisable avec les connaissances actuelles. En Suisse, des projets mettant en oeuvre ces «smart contracts» sont d’ailleurs en cours dans plusieurs domaines, tels que la finance, la logistique et le commerce d’art. A travers les automatismes qu’elle permet, la blockchain a le potentiel de considérablement accélérer et simplifier le travail dans un grand nombre de métiers. Mais son impact réel est bien plus important encore car elle renverse les principes actuellement en vigueur en matière d’exécution des contrats. Aujourd’hui, une fois un contrat conclu, les parties sont libres de leurs actions et dans le cas où l’une décide de ne pas respecter ce qui a été décidé, l’autre peut intenter une action en justice afin de faire respecter son droit. Avec un «smart contract» basé sur la blockchain, les décisions sont exécutées automatiquement selon les conditions définies lors de la signature et les parties ne doivent agir que quand elles estiment que l’exécution du contrat ne correspond plus à leur volonté du moment, afin de modifier ce dernier.

En permettant à des parties qui ne se connaissent pas de contracter de façon directe, sans requérir l’intervention d’un tiers pour garantir l’exécution des décisions prises en commun, la blockchain a donc le potentiel de révolutionner le travail des juristes, mais aussi, de façon plus large, les relations entre les individus, établissant les bases de ce que certains appellent déjà une «économie de la confiance».