En marge de la conférence de Bali, s’est tenue une table ronde inédite réunissant des patrons de multinationales et une brochette de ministres, soit un panel représentatif d’une vingtaine de puissances commerciales. La Chambre de commerce internationale (CCI), regroupant quelque 6,5 millions d’entreprises – dont plus d’une moitié sont de petite et moyenne taille (PME) –, en était l’organisateur.

Message central: si cette semaine se solde par un échec, ce sera la «loi de la jungle». L’un des orateurs les plus en pointe sur le sujet a été Victor Fung, milliardaire hongkongais à la tête du groupe de distribution asiatique Li & Fung, pesant 20 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 28 000 employés.

Habitué du Forum de Davos, ce tycoon (magnat) chinois décrit le scénario du pire: «L’impact psychologique d’une défaite à Bali sera dévastateur pour l’OMC. Les Etats se tourneront alors vers leurs seconds choix pour déréguler leurs échanges, soit les accords bilatéraux ou régionaux.»

Ces derniers, complémentaires au système multilatéral, sont basés sur les normes de l’OMC. «Mais si ce socle venait à se déliter, cela provoquerait un chevauchement légal inextricable, voire contradictoire», prévient Victor Fung. Point central pour ce patron asiatique: la vulnérabilité des PME, incapables de traiter avec chaque Etat individuellement. Pour ces dernières, un échec à l’OMC conduirait tout le système à voler en éclats.

Comme la Suisse

Autre conséquence selon Victor Fung, dont le groupe se positionne aussi dans le luxe: le système de règlement des différends, l’un des piliers de l’OMC, périclitera en cas d’impasse à Bali. «Il sera surchargé de plaintes se référant à un réseau normatif insondable, prédit-il. Ses jugements seront de moins en moins pertinents, car basés sur des normes multilatérales éculées.»

A contrario, un dénouement heureux sur l’île indonésienne «stimulera – à moindre frais – l’appétit pour Doha et restaurera la confiance faisant défaut à l’OMC depuis plus d’une décennie», assure-t-il encore, précisant qu’il ne manque plus qu’une impulsion politique pour réussir, les aspects techniques ayant été circonscrits.

Victor Fung partage avec la Suisse l’avis selon lequel le dossier de la facilitation des échanges est central pour les entreprises. «C’est même un thème qui devrait être inscrit au titre de programme pour le développement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: une simplification des procédures douanières provoquera une hausse des exportations de 570 milliards dans les pays en développement, et de 475 milliards dans ceux développés. Avec, à la clé, la création de 21 millions d’emplois», énumère-t-il.

L’intéressé anticipe un nouvel OMC. «Il sera plus sectoriel, autour d’accords plus ciblés, et plurilatéral», résume-t-il. Selon l’homme d’affaires, le principe du consensus a vécu. «Cette formule dite de «single undertaking», où il n’y a d’accord sur rien, tant que tout le monde n’est pas d’accord sur tout, est aujourd’hui illusoire, vu le nombre actuel élevé de participants aux négociations.» Conclusion de Victor Fung: «A l’exception peut-être du dossier agricole qui implique les 159 Etats membres, tous les autres thèmes devraient être abordés de façon plurilatérale [ndlr: un accord limité à quelques Etats, soumis ensuite à leurs partenaires]. Contrairement aux initiatives bilatérales, qui par essence excluent les autres pays, le système plurilatéral est ouvert.»