Désinfectant à l'entrée, marquage au sol pour respecter une distance minimum de deux mètres entre chaque client. Cette pharmacie de la banlieue de Zurich applique les consignes sanitaires à la lettre et même plus: à l'arrivée à la caisse, interdiction de payer avec du cash.

Une mesure qui se répand dans les commerces autour du monde, alors que le coronavirus continue de se propager. Pourquoi? Parce que les pièces de monnaie et billets de banque sont des vecteurs de transmission des virus, a prévenu, entre autres, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui recommande d'utiliser des moyens de paiement sans contact. Ou, du moins, de se laver les mains après avoir touché des billets de banque.

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L'hygiène pourrait ainsi devenir l'argument ultime en faveur des paiements électroniques, déjà plébiscités pour leurs aspects pratiques et sûrs d'une part et pour la lutte contre la corruption et l'évasion fiscale de l'autre. Professeur à l'institut IFZ de la Haute Ecole de Lucerne, Andreas Dietrich estime que «la crise actuelle pourrait fortement changer le comportement des consommateurs. Déjà parce qu'ils en sont contraints – on ne change pas «juste comme ça» – et qu'ils pourraient se rendre compte de l'aspect pratique et rapide.» Ainsi, si la situation dure quelques semaines, le changement pourrait être durable, poursuit-il. Même s'il ne faut pas s'attendre à une disparition du cash dans les cinq prochaines années, la réduction de l'utilisation du cash pourrait s'accélérer. 

Et les premiers signes sont là, perçus par exemple par Twint, la solution nationale de paiement par smartphone. Tout se fait sur son téléphone et il n'y a pas besoin de toucher le terminal de paiement à la caisse. «En raison de la situation actuelle d'urgence liée au Covid-19, le système est utilisé bien plus fréquemment chez les détaillants, affirme une porte-parole. Mi-mars, nous avons constaté une augmentation de ces transactions de près de 50%. Cette hausse de l’utilisation indique un comportement de prudence de la part des consommateurs en ce qui concerne les paiements.»

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Augmentation chez Twint

Twint, qui constate aussi une «nette augmentation des achats en ligne», se dit «convaincu que cette situation renforcera à long terme l’adoption des moyens de paiement électroniques». Le service, en temps normal très utilisé pour les paiements entre particuliers, note que ces transactions «sont actuellement très utiles pour le paiement simple et sans contact des achats dans le cas d’entraide entre voisins». Certes. Mais encore faut-il que les seniors que vous aidez ainsi aient un smartphone et Twint installé... ce qui est loin d'être généralisé.

UBS note aussi un changement de comportement concernant les cartes – de débit ou de crédit. «Nous constatons une augmentation des paiements effectués chez les détaillants», affirme une porte-parole, qui note aussi qu'au total les paiements sans contact restent stables. Sans aucun doute parce que salons de coiffure, fleuristes ou restaurants sont fermés. 

Fin de la limite de 40 francs?

Mais si cartes et smartphones veulent vraiment tuer le cash en Suisse, il faudra changer un élément important: la limite des 40 francs. En dessous de ce montant, pas besoin d'entrer de code sur le terminal de paiement. En dessus, c'est obligatoire. Ne serait-il pas temps d'augmenter cette limite pour favoriser ce type de paiement? «Une augmentation de cette limite nécessiterait des changements à plusieurs niveaux. Par exemple, le logiciel de tous les terminaux de paiement devrait être mis à jour. Une telle décision doit donc être prise conjointement par l'ensemble du secteur des paiements et elle revient, dans tous les cas, à Visa et à Mastercard. Sa mise en place prendrait plusieurs semaines, voire plusieurs mois», détaille la porte-parole d'UBS. A noter que la Grande-Bretagne a choisi de l'augmenter, dès le 1er avril, de 30 à 45 livres (35,50 à 53,30 francs).

Face aux cartes, le paiement par smartphone a ainsi une longueur d'avance: Twint permet par exemple de fixer soi-même le montant à partir duquel un code est exigé – il est même possible de le supprimer complètement. Les solutions comme Apple Pay, Google Pay ou Samsung Pay, qui se développent en Suisse, offrent elles aussi davantage de flexibilité.

Estimant aussi qu'on pourrait voir une accélération vers une société sans cash, l'entrepreneur et spécialiste des fintechs Marc Bernegger voit déjà des gagnants potentiels, comme les fournisseurs de cartes et de terminaux de paiement sans contact, de même que les néobanques, comme N26, Revolut et les géants de la tech, comme Apple Pay, Google Pay et Samsung Pay. «A long terme, cela amènera peut-être même à une adoption plus généralisée des cryptomonnaies, comme le bitcoin», ajoute-t-il.

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Car, jusqu'ici, le liquide montre une résistance qui semble à toute épreuve. En Suisse, il n'existe pas de statistiques sur l'utilisation du cash depuis le début de la pandémie. Ni même de très récentes. Mais la dernière enquête plus complète de la BNS sur les moyens de paiement, publiée en 2018, montrait que les Suisses restaient de grands adeptes du paiement en cash. Ils l'utilisaient dans 70% des cas. Les cartes de débit et de crédit étaient respectivement utilisées dans 22% et 5% des transactions. Le cash servait surtout pour les plus petits achats, mais la BNS souligne quand même que 35% des paiements de plus de 1000 francs se faisaient aussi par ce biais. En comparaison internationale, la Suisse est dans la moyenne. Une étude de la Banque centrale européenne révélait que dans la zone euro, en 2016, la préférence pour le liquide existe dans 79% des achats. Et que si on leur laisse le choix, un tiers des sondés disait préférer payer en cash plutôt que par n'importe quel autre moyen.

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Reste qu'une société sans cash n'est pas nécessairement un paradis. La Suède, parmi les pays les plus avancés dans ce domaine, a fait en partie marche arrière pour autoriser à nouveau une plus grande utilisation des billets et pièces de monnaie. En outre, un certain nombre d'organisations alertent sur le danger que représente une telle société pour les non-bancarisés: ceux-ci se retrouvent complètement hors du circuit financier, sans moyen de paiement même pour des besoins de base. Certains emplois, au noir, ne peuvent plus non plus être rémunérés.

L'étude de la BCE montre d'ailleurs que, dans certains pays, jusqu'à 10% des citoyens n'ont pas d'accès à des cartes bancaires. En outre, en Grèce, par exemple, plus de la moitié des participants au sondage ont dit recevoir au moins un quart de leurs revenus en liquide. Enfin, dans une société sans cash, il n'existe plus non plus la moindre confidentialité dans les transactions. 

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