Le marché de l’or affiche l’une des meilleures performances depuis le début de l’année. Le prix de l’once est passé de 1060 à 1250 dollars, tandis que la plupart des indices actions ont stagné, voire baissé. Nannette Hechler Fayd’Herbe, responsable de la stratégie d’investissement du Credit Suisse, fait le point sur les perspectives du marché.

- Après une hausse du prix de l’or de 16% au premier trimestre, le temps est-il venu pour les investisseurs d’encaisser les bénéfices?

- C’est une question que nos clients nous posent beaucoup en ce moment. Notre réponse est assez claire puisque nous sommes convaincus que le cours de l’or est arrivé à un sommet pour l’instant.

- Pourquoi?

- Il faut regarder les facteurs qui expliquent sa performance au premier trimestre. Il y a tout d’abord l’aversion au risque de la part des investisseurs. Comme n’importe quelle valeur refuge, l’or a attiré des flux de capitaux: les achats d’ETF ont augmenté mais aussi les positions spéculatives de ceux qui pariaient sur une hausse de son cours. L’or a également profité de la faiblesse du dollar. Enfin, il a tiré profit du fait que les marchés financiers ont momentanément écarté toute nouvelle hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale américaine (Fed). Or, un dollar qui ne rapporte pas d’intérêt est favorable au métal jaune, et vice-versa.

- Trois facteurs qui ne sont plus réunis aujourd’hui?

- Oui. Prenez la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis. Quand on regarde l’économie américaine on se rend compte qu’elle est dans un bon état: le marché du travail se porte bien, les salaires augmentent et le marché de l’immobilier est stable. Le consommateur américain, qui représente 60% du PIB, est donc tout à fait capable de supporter une nouvelle hausse des taux d’intérêt. La question n’est donc pas si mais quand elle interviendra. Quant au dollar, on peut imaginer qu’il tendra à s’apprécier à mesure que les taux d’intérêt augmenteront.

- Reste l’aversion au risque…

- C’est vrai. Mais on préfère se concentrer sur les fondamentaux que sont le dollar et les taux d’intérêt. D’autant plus qu’en 2015, la forte volatilité des marchés financiers n’a pas nécessairement profité à l’or.

- Comment l’expliquez-vous?

- 2015 fut également marquée par une forte appréciation du dollar précédant la hausse des taux de la Fed. Puis ce sont les taux d’intérêt réels qui sont remontés si bien que les fondamentaux ont prédominé sur les incertitudes des marchés.

- Quand avez-vous revu vos recommandations sur l’or?

- A la fin mars. Notre approche systématique consiste à regarder les valorisations, les facteurs cycliques, soit la demande et l’offre, ainsi que le comportement des milliers de traders qui font bouger les flux de capitaux. Fin mars il s’est avéré que les facteurs cycliques n’étaient plus porteurs alors que les valorisations étaient déjà nettement moins attractives. Cela nous a conduits à être plus prudents.

- Sur le long terme, l’once peut-elle retourner à 1800 dollars?

- Je ne crois pas. La seule raison serait un pic d’inflation inattendu. Mais il y a plus de risques de déflation que d’inflation actuellement. La Chine pourrait en être la cause. Sa monnaie est celle qui s’est le plus appréciée en termes réels effectifs, avec le franc, depuis 2009, ce qui a mis à mal sa balance commerciale. Il est donc davantage probable que le yuan s’affaiblisse à l’avenir ce qui introduit de la déflation au niveau mondial. La source d’inflation à considérer pourrait venir du pétrole. Mais pour l’instant c’est un marché qui est entièrement déterminé par l’offre si bien que dès que les cours augmentent un peu, de nouveaux producteurs font leur arrivée, surtout aux Etats-Unis. A moins d’un conflit armé ou autre interruption de production je ne vois pas comment le pétrole pourrait entraîner de l’inflation aujourd’hui.

- Aux yeux des investisseurs, l’or est-il toujours la valeur refuge par excellence?

- Je le crois, oui. Nous l’avons vu avec les nombreuses questions que nous avons reçues à ce sujet au cours du premier trimestre. Les recherches effectuées sur notre site internet le montrent aussi, on se rend compte que l’or a été un mot-clé très utilisé. C’est un bon indicateur pour nous. Maintenant ce statut me semble parfois un peu exagéré. Certes l’or est un actif qui permet de diversifier son portefeuille, n’étant corrélé à rien d’autre. Mais il peut aussi être très volatil comme nous avons pu le voir encore l’année passée. L’or peut représenter les mêmes risques que les actions, et cela beaucoup d’investisseurs ne le réalisent pas.

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