Le Covid-19 fait planer le spectre d’une pénurie alimentaire
Matières premières
D’un côté, les consommateurs dévalisent les rayons de produits alimentaires et les Etats constituent des stocks. De l’autre, certains pays producteurs limitent, voire interdisent les exportations. De quoi provoquer la panique chez les consommateurs et faire flamber les prix. La FAO se veut rassurante

Pâtes, nouilles, baguette, naan, pita ou encore tortilla. Toute la planète aime ces aliments à base de farine de blé. En Suisse, en Europe et dans beaucoup d’autres pays, les responsables de l’approvisionnement alimentaire ont beau assurer que la production et les stocks sont suffisants, les achats frénétiques ne cessent pas. Il est vrai que face aux incertitudes liées à la pandémie de Covid-19, les pâtes sont particulièrement faciles à conserver.
Dès lors, le prix du blé flambe, mais l’explosion de la demande n’est pas la seule raison. Aux Etats-Unis et au Canada, mais aussi en Europe, les cultures céréalières font face à un manque de la main-d’œuvre saisonnière pour cause de fermeture des frontières liée au Covid-19. Des difficultés subsistent aussi au niveau de la logistique; le transport maritime et les ports tournent au ralenti et retardent les livraisons.
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Les Etats achètent aussi
La frénésie d’achat ne concerne pas que les ménages. Paniqués par la perspective d’une pénurie alimentaire, des pays importateurs tentent d’arracher des contrats à tout prix. Par exemple, la Chine, qui aurait des réserves de farine pour au moins une année, en achète de grandes quantités, notamment aux Etats-Unis. Selon l’agence Bloomberg, la Turquie et l’Algérie, deux grands pays où le pain arabe constitue l’alimentation de base, en font autant. Le Maroc, afin de faciliter les importations et la constitution de stocks, vient d’abolir la taxe douanière sur le blé.
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Et pour ne rien arranger, quelques pays producteurs viennent de décider l’interdiction des exportations. A commencer par le Kazakhstan, huitième producteur mondial de blé, qui avait prévu d’expédier 8 millions de tonnes, principalement en Europe. «Si nécessaire, l’Ukraine pourrait aussi envisager de limiter ses exportations», a déclaré son président, Volodymyr Zelensky, lors d’un message télévisé lundi à la nation, cité par AgriReport, une agence d’informations spécialisée sur les matières premières agricoles. Selon cette même source, la Russie voisine, premier producteur mondial, pourrait suivre la même voie. «Nous sommes prêts à introduire des limitations dans le but d’approvisionner le marché national», a indiqué mardi le vice-premier ministre, Andrei Belousov, lors d’une réunion d’urgence à Moscou.
Production mondiale record
De telles annonces ne restent pas sans conséquences, même si la production mondiale de blé pour la saison 2019-2020 bat un record. Selon l’International Grain Council, la récolte atteindra 763 millions de tonnes. A la bourse de Chicago, bourse de référence pour les produits agricoles, le prix du boisseau (27 kilos) était de 5,74 dollars, contre 4,98 dollars le 16 mars.
Plus généralement, la question de la pénurie alimentaire se pose aussi à la lumière d’avertissements de certains exportateurs asiatiques de riz, notamment le Vietnam, qui envisageraient également des interdictions temporaires d’exportation. La Serbie, elle, a déjà interdit l’exportation d’huile végétale.
Echec dans le passé
Simon Evenett, professeur d’économie à l’Université de Saint-Gall, s’élève avec force contre toute interdiction d’exportation de vivres. «Il est regrettable que la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan prennent cette décision qui déstabilise les cours du blé, lance-t-il. L’idée de restreindre les exportations en vue d’assurer l’approvisionnement national à bas prix a échoué dans le passé.»
Egalement en charge du Global Trade Alert, un observatoire sur le protectionnisme commercial dans le monde, il rappelle en effet qu’en 2007-2008 de nombreux pays producteurs agricoles avaient interdit les exportations suite à de mauvaises récoltes et des spéculations. «En fin de compte, ils avaient fini par déstabiliser les cours mondiaux», dénonce-t-il.
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Pour l’Organisation mondiale de l’alimentation (FAO), rien ne justifie la hausse des prix de vivres. «Il n’y a pas de pénurie alimentaire à l’horizon, assène le chef économiste Maximo Torero au Temps. La production des céréales se porte bien et, selon notre système d’alerte rapide, les exportateurs détiennent des stocks suffisants pour approvisionner le marché.» Maximo Torero admet toutefois que l’incertitude augmente le risque de stockage illégal et de marché noir.