Ce qui est vrai pour le monde l’est aussi pour la Suisse: les plus pauvres ont été les plus affectés par la crise du covid. Les inégalités se sont ainsi creusées avec la pandémie, montre une étude publiée mardi par l’institut de recherches conjoncturelles de l’EPFZ (KOF), cofinancée par The Enterprise for Society Center (E4S, initiative commune de l’EPFL, de l’IMD et de l’Université de Lausanne) et l’Office fédéral de la santé publique.

Selon le rapport, les ménages dont le revenu est considéré comme très faible – moins de 4000 francs selon la définition des chercheurs – ont subi une baisse de revenus de 20% en moyenne depuis le début de la pandémie. A l’inverse, les ménages dont le revenu mensuel est parmi les plus élevés – supérieur à 16 000 francs – ont vu leurs revenus diminuer de 8%.

Plus de dettes

L’effet est exacerbé par l’effet porte-monnaie. Plus les ménages disposaient de revenus élevés, plus ils ont réduit leurs dépenses. «Les ménages les plus aisés les ont diminuées principalement à cause de besoins moindres et d’occasions plus rares pour effectuer des dépenses», souligne le rapport. Or, si ces raisons existent aussi parmi les ménages à faibles revenus, elles ne sont pas les seules: 11% d’entre eux disent aussi avoir réduit leurs dépenses parce qu’ils avaient moins d’argent disponible.

Des résultats en partie attendus par les chercheurs. Mais Isabel Martinez, l’une des auteurs, chercheuse au KOF et spécialiste des inégalités, souligne un domaine où ils se sont révélés pires que prévu: l’utilisation des économies et l’endettement. «Parmi les ménages les plus pauvres, une personne sur neuf s’est endettée pour faire face», souligne-t-elle, ce qui «aura des conséquences à long terme. Lors de la prochaine crise – puisque ce n’est pas la dernière que nous allons vivre –, ces ménages seront dans une position encore plus délicate.» Dans ce domaine, les inégalités perdureront plus longtemps que celles des revenus, qui devraient plus rapidement revenir à la normale, ajoute Isabel Martinez.

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Ce qui a une conséquence sur l’épargne, qui «a considérablement diminué chez les ménages à faibles revenus», tandis qu’elle «a augmenté chez la moitié des ménages aux revenus les plus élevés», révèlent les experts. Près de 40% des personnes ayant des revenus inférieurs à 4000 francs disent «avoir puisé dans leurs économies afin de couvrir leurs dépenses courantes». A noter que c’est aussi dans cette catégorie que se trouvent le plus de réfractaires aux vaccins. Seuls 36% d’entre eux se disent prêts à être vaccinés, contre 59% dans la catégorie de revenus les plus élevés.

Rôle «énorme» du chômage partiel

Pour éviter le pire, le chômage partiel a joué un rôle «énorme», estime Isabel Martinez. «On le voit à la différence de situation, à la fois financière et psychologique, entre ceux qui l’ont obtenu et ceux qui se sont retrouvés au chômage.» Etait-ce assez? La Confédération ne payant que 80% des salaires et l’employeur ne compensant pas forcément les 20% restants, cela a pu rendre la situation plus difficile pour les salaires les plus faibles. «Dans certains cas, le filet minimum n’était plus suffisant», pointe la chercheuse. Début janvier, la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) a d'ailleurs estimé que «le nombre de personnes tributaires de l'aide sociale augmentera de 21%» au cours des deux prochaines années en raison de la crise du covid. Selon l’OFS, 271 400 personnes étaient à l’aide sociale en 2019.

Les chercheurs n’ont pas de données précises pour comparer la situation avec d’autres pays. Mais il est clair que «la tendance est la même partout». A une exception: en Suisse, les revenus les plus faibles n’ont pas été nécessairement plus exposés à la maladie qu’aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou dans les pays émergents, par exemple, ajoute l’experte. Difficile en revanche d’analyser l’impact des mesures sanitaires, plus ou moins fortes selon les pays, car d’autres facteurs entrent en ligne de compte, notamment le recours au chômage partiel.

L’exacerbation des inégalités, c’est également ce qu’a constaté Oxfam dans son rapport annuel publié fin janvier. Les inégalités se sont creusées dans tous les pays du monde. «Les 1000 personnes les plus riches du monde ont retrouvé leur niveau de richesse d’avant la pandémie en seulement neuf mois alors qu’il pourrait falloir plus de dix ans aux personnes les plus pauvres pour se relever des impacts économiques», pointait l’ONG. La fortune des milliardaires a d’ailleurs atteint un record en 2020, selon un rapport d’UBS et de PwC.

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