Régulation
L’OCDE s’est transformée pour être plus utile à ses trente-quatre Etats membres. La mue s’est réalisée sous l’impulsion de son secrétaire général, le Mexicain Angel Gurria

Quand la crise force l’OCDE à se réinventer
Régulation L’OCDE s’est transformée pour être plus utileà ses trente-quatre Etats membres
La mue s’est réalisée sous l’impulsionde son secrétaire général, le Mexicain Angel Gurria
Méfions-nous des apparences. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) n’est pas, ou n’est plus, seulement cette institution cinquantenaire si souvent assimilée, en France, à un repaire d’ultralibéraux. Le château de la Muette – c’est le nom de son siège parisien – a souvent critiqué les coups de pouce au SMIC ou le peu d’appétence française pour les réformes structurelles. On sait moins qu’il possède une longueur d’avance sur l’analyse des inégalités, du bien-être, de la fiscalité. Et que son approche iconoclaste de la finance lui vaut de solides inimitiés dans le monde bancaire.
Sous l’impulsion de son secrétaire général, le Mexicain Angel Gurria, en poste depuis juin 2006, l’institution, spécialisée dans la régulation, s’est transformée. Economiste, deux fois ministre, Angel Gurria voulait que l’OCDE soit plus utile aux gouvernements en répondant mieux à la crise née dans les pays avancés, son cœur de cible. Comme d’autres, elle ne l’a pas vu venir et en a sous-estimé l’importance, malgré quelques mises en garde, en 2009. «Nous avons été successivement trop optimistes et trop pessimistes sur la profondeur de la crise», résume Sebastian Barnes, conseiller de l’économiste en chef.
L’OCDE se veut «Evidence-Based»: attentive aux faits et soucieuse d’apporter la preuve de ce qu’elle avance. N’avoir pas vu s’approcher la grande récession alors qu’il y avait eu, selon Angel Gurria, «des signes avant-coureurs de l’imminence d’une crise historique», fut un choc.
En 2012, le secrétariat général lance le «New Approach to Economic Challenges» (NAEC), un exercice d’introspection. Tout est passé au crible: prévisions, standards, principes, pratiques… «Nous nous sommes interrogés sur nos erreurs, dit Martine Durand, directrice des statistiques. Puis nous sommes tombés d’accord sur la nécessité d’adapter nos modèles et outils d’analyse, de nous intéresser davantage à l’économie comportementale, de cultiver une vision de long terme et de renforcer la coopération entre les directions.»
Avant 2008, la maison était organisée en «silos». Les directions travaillaient dans leur coin. D’où une certaine cacophonie. La coopération et la coordination prévalent désormais, en interne comme avec l’extérieur – Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale, etc. Une mutation favorisée par l’arrivée à des postes de responsabilité de «quadras» comme Stefano Scarpetta et Pascal Saint-Amans, «patrons» respectifs de la direction de l’emploi et du centre de politiques et d’administrations fiscales.
En février 2013, l’OCDE avait publié une analyse sur ses erreurs de prévisions. «Nous avons constaté que nous avions davantage surestimé les produits intérieurs bruts de l’Espagne, de l’Irlande et de l’Islande, qui avaient des secteurs bancaires exposés, dit Sebastian Barnes. Désormais, nous discutons plus systématiquement des risques; nous faisons plus de scénarios, nous analysons plus à fond les données financières, nous sommes plus attentifs aux indicateurs de court terme.»
Issue de l’Organisation européenne de coopération économique, créée en 1948 pour gérer le plan Marshall, l’OCDE n’a pas les préventions de la Commission de Bruxelles pour la relance, ni son attachement pour la consolidation budgétaire.
«La crise a été dramatique. Des salaires horaires qui baissent de plus de 5% par an pendant quatre ans en Grèce ou de 2% en Espagne, au Portugal et en Irlande, ce n’est pas rien! Quand les pays membres ont vu que la reprise n’était pas au rendez-vous, ils nous ont incités à pousser nos réflexions, à l’instar du conseiller économique d’Obama, explique Stefano Scarpetta. Nous avons essayé de sortir de l’impasse austérité-croissance-politiques structurelles et préconisé de faire attention aux coupes dans les dépenses publiques dans des secteurs comme la santé et l’éducation, car elles entament le potentiel de croissance.»
L’économiste en chef a travaillé à la Réserve fédérale américaine. Originaire des Etats-Unis, championne de la relance et du «Quantitative Easing» (QE), Catherine Mann recommande d’«articuler» les politiques monétaire, budgétaire et structurelles pour sortir la zone euro de la stagnation. Un discours plus nuancé que celui tenu à Bruxelles.
Plus que Donald J. Johnston, son prédécesseur canadien, Angel Gurria – il devra réfléchir d’ici à 2016 à l’hypothèse d’un troisième mandat – a multiplié les relations avec les responsables politiques au plus haut niveau. «Mon job, c’est de vendre la logique politique de nos recommandations», dit-il. L’OCDE est tripartite. L’examen par les pairs et la surveillance multilatérale y jouent un rôle clé. Le Conseil, décisionnel et présidé par Angel Gurria, regroupe les représentants des trente-quatre pays membres et un représentant pour l’Union européenne; 250 comités thématiques réunissent experts et administrations; les 2500 salariés du secrétariat, dont 700 chercheurs (économistes, juristes, etc.), irriguent de leurs travaux une institution qui a assoupli la règle du consensus, en vigueur depuis 1961.
Il suffit qu’une dizaine de pays soient partants pour qu’elle engage des travaux spécifiques. En 2012, à la demande d’une douzaine de gouvernements, Stanley Fischer a animé deux jours de débats sur la stagnation séculaire. «En juillet 2014, se souvient M. Scarpetta, le gouvernement espagnol nous a donné moins de quatre mois pour évaluer la réforme du marché du travail de 2012. Nous l’avons fait et avons conclu que cette réforme, menée en pleine récession, avait changé le comportement des entreprises et créé davantage d’emplois à durée indéterminée.»
La crise et le réveil du politique qui l’a accompagnée ont fait de l’OCDE «l’acteur fiscal majeur du G20» et le champion de la transparence (fin du secret bancaire, lutte contre les paradis fiscaux, etc.). Pascal Saint-Amans veut profiter de la «fenêtre d’opportunités» dont il dispose pour pousser son avantage et s’assurer que le changement des règles fiscales est appliqué dans les pays membres de l’OCDE ou du Forum mondial.
Ce foisonnement n’est pas dû qu’à la crise. «Nous travaillons depuis quinze-vingt ans sur les inégalités, témoigne Stefano Scarpetta. Growing Unequal de 2008 et Divided We Stand de 2011 sont les principales synthèses de référence.» L’OCDE est à l’origine du principe pollueur-payeur. Elle a travaillé, avant le rapport Stiglitz, sur l’économie du bien-être, qui a changé ses perspectives. La croissance verte, la justice, le développement durable ont été mis en avant. La clé de cette métamorphose? La conviction que la globalisation impose de «bouger plus vite» et d’«être agile». Libérale, l’OCDE? En partie seulement. Mais pas «réac».
«Nous avons été successivement trop optimistes et trop pessimistes sur la profondeur de la crise»