Une trentaine de patrons, d’entrepreneurs et d’investisseurs suisses en Ukraine étaient réunis vendredi dernier à l’invitation de Christian Schoenenberger, ambassadeur de la Confédération à Kiev. Ce rendez-vous plus informel qu’économique a lieu tous les deux mois. Hasard du calendrier, au même moment à Vilnius, le président, Viktor Ianoukovitch, refusait d’agréer un rapprochement avec l’Union européenne.

L’ambassadeur annonce la nouvelle, les mines s’assombrissent. Certains ont cru jusqu’au dernier jour à un revirement. «Le choix de l’Europe représente davantage qu’une association, il met le pays sur la voie des réformes. Lui tourner le dos, c’est un mauvais signal pour les investisseurs», réagit Leslie Hawrylyshyn, directeur général et fondateur d’Euroventures Ukraine.

Economie grise

Grands boulevards, enseignes luxueuses, Kiev garde le faste de la capitale impériale qu’elle a été. La pauvreté n’y est guère visible, la corruption et le népotisme beaucoup plus. Les oligarques et les fortunes très vite bâties s’exhibent sur l’avenue Khreshiatyk, l’équivalent des Champs-Elysées. «Le pouvoir est au centre de ce système, le parlement est un grand club de millionnaires», assène Leslie Hawrylyshyn. C’est dans la banlieue de l’agglomération, et dans les campagnes que la misère éclate au grand jour. Barres d’immeubles gris d’architecture soviétique reliées entre elles par des routes de terre.

L’Ukraine a vu son PIB se contracter de 15% en 2009, qui reste toujours inférieur à son niveau d’avant la crise financière. Stagnation attendue cette année, moins de 2% l’an prochain. «Pour comprendre comment les Ukrainiens survivent, il faut prendre en compte l’économie grise, qui représente presque 20 à 30% du PIB», nuance Leslie Hawrylyshyn.

Installé depuis 1999 en Ukraine, dont son père est originaire, Leslie Hawrylyshyn se partage entre Kiev et Villars-sur-Ollon, où il passe trois mois par année. Il a connu les années de croissance à deux chiffres: «La corruption était là, héritage soviétique, mais les retours sur investissement, 30 à 40%, étaient tels qu’on n’y prêtait pas attention.» En 2006, il crée un deuxième fonds d’investissement de 75 millions de dollars, avec pour principaux partenaires la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque mondiale et une émanation du Secrétariat d’Etat à l’économie.

Devise affaiblie

La crise de 2008 change toutefois la donne: la devise, la hryvnia, dont le cours est flottant et dirigé, est dévaluée. Elle perd 50% de sa valeur en 24 heures. «La valeur de notre portefeuille a été divisée par deux.» Le pays a vu les capitaux étrangers, dont il est dépendant, refluer: «Les investissements directs étrangers sont tombés de 8 milliards annuels environ, en 2006, à moins de 2.»

Malgré l’instabilité actuelle, Leslie Hawrylyshyn croit au potentiel à long terme. La population jouit d’un bon niveau de formation, l’informatique est en pleine croissance en Ukraine et même les entreprises indiennes y délocalisent en raison du faible coût de la main-d’œuvre qualifiée. Le salaire d’un excellent analyste-programmeur varie entre 450 et 800 francs.

En outre, longtemps grenier de l’Union soviétique, l’Ukraine produit des céréales sur ses terres noires, particulièrement fertiles. Elle est passée au deuxième rang mondial des exportateurs (28 millions de tonnes d’orge, de maïs et de blé en 2013), derrière les Etats-Unis, et pourrait gagner la première place à l’horizon 2020, à condition d’exploiter l’ensemble de la superficie cultivable et, surtout, d’améliorer les moyens de production.

L’industrie lourde reste la locomotive de l’économie, mais les entreprises de ce secteur devront être modernisées. Elles survivent grâce à un prix du gaz maintenu bas par les subventions. «Plus qu’un nouveau gouvernement, l’Ukraine a besoin de réformes structurelles, dans le système judiciaire notamment», explique Leslie Hawrylyshyn. Une dévaluation de 10 à 15% de la monnaie est crainte, au premier semestre 2014, et le gouvernement devra renégocier sa dette étrangère pour éviter le défaut.