La Crypto Valley zougoise lutte contre le blues du secteur
Innovation
AbonnéMalgré une année difficile, marquée par la chute des cryptomonnaies et des valorisations des entreprises, les acteurs de la blockchain gardent le cap. La mairie de Zoug continue, elle aussi, à croire au miracle de ces nouvelles technologies

Si l’hiver a été glacial pour les cryptomonnaies, il ne l’a pas été pour toute l’industrie cryptographique. Attablé à la mythique Kronenhalle zurichoise devant une Wiener Schnitzel gigantesque, Alain Kunz nuance autant que possible l’hécatombe des douze derniers mois, où le bitcoin & Cie ont en moyenne perdu 80% de leur valeur. «Les cryptomonnaies ne sont qu’un aspect de la blockchain, et pas le plus important», souligne le fondateur et directeur de TokenSuisse, une société qui propose des investissements dans le monde de la blockchain et des cryptos.
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Cet ancien banquier d’investissement préfère mettre l’accent sur ce qu’il voit comme des signes positifs, et qui émergent partout dans le monde. «Prenons le nombre de distributeurs de bitcoins: ils doublent chaque année. Or ils sont centraux puisqu’ils permettent d’utiliser cette monnaie sans internet», illustre-t-il. Cet entrepreneur zurichois dont la société est installée à Zoug, comme la plupart des start-up du domaine, souligne l’importance d’un autre développement: l’investissement institutionnel afflue. Depuis que l’Université Yale a investi 400 millions de dollars dans les cryptomonnaies, deux fonds publics ont fait le même mouvement, se réjouit-il.
Licenciements dans la Crypto Valley
Il n’en demeure pas moins que la chute des cours depuis les records de la fin 2017 a provoqué des dommages, y compris dans la Crypto Valley zougoise. Certaines start-up ont dû prendre des mesures drastiques, à l’image de Shapeshift, qui a remercié un tiers de son équipe, soit 37 collaborateurs, ou de la plateforme de chat Status, qui a dû se séparer d’un quart de ses effectifs.
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Et tout le monde, du moins ceux qui se sont financés via des ICO, ces levées de fonds en cryptomonnaies, a vu sa valorisation chuter. Un rapport de la société d’investissement CV VC, publié conjointement avec PwC Strategy& et Inacta fin janvier, a calculé l’ampleur des dégâts: la Suisse et le Liechtenstein comptaient cinq «licornes», ces sociétés dont la valorisation dépasse le milliard de dollars, elles n’en possèdent plus que quatre, Xapo ayant passé sous cette barre. Les 50 plus grandes sociétés actives dans la blockchain en Suisse et au Liechtenstein ont vu leur valeur diminuer de plus de moitié, passant de 44 milliards de dollars à 20 milliards en automne dernier.
D’après les calculs de CV VC, ces cinquante sociétés représentent près de 20% du marché des cryptos à fin 2018. Elles emploient 420 personnes sur les 3300 qui ont été recensées dans ce secteur en Suisse et au Liechtenstein (en majorité entre Zoug et Zurich). Le rapport, qui s’accompagne d’un sondage, assure cependant que «c’est business as usual pour la plupart des entreprises malgré la chute des cours».
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Surtout, pour Mathias Ruch, fondateur et directeur général de CV VC, le tableau n’est pas noir. «Une correction des cours amène des opportunités pour les investisseurs, d’autant plus que les start-up restantes sont de meilleure qualité», argumente-t-il. Celui qui est également à la tête de l’association faîtière du secteur, la Swiss Blockchain Federation, ne s’inquiète pas pour la Suisse: «Oui, certaines sociétés souffrent parce qu’elles ont mal géré leurs réserves de cryptos, mais ce n’est pas le cas de la majorité», assure-t-il. De fait, le rapport de sa société montre que le nombre total d’entreprises a continué de croître dans la région, passant de 629 cet automne à 750 en fin d’année.
Zoug continue d’y croire
La ville de Zoug minimise également les dégâts de cette vague de froid sur un secteur qu’elle a identifié comme l’une de ses priorités. «Nous sommes indépendants de l’industrie de la cryptographie, tant sur le plan financier qu’idéologique», précise Karl Kobelt, président de la ville de Zoug. Pour lui, il s’agit d’une consolidation normale d’une industrie encore en phase de démarrage. Il voit même le reflux du bitcoin et des autres devises d’un bon œil puisqu’elles «ne sont plus considérées comme des objets spéculatifs». Lui aussi veut distinguer les soubresauts des devises du développement de la technologie de la blockchain, «sur laquelle Zoug a toujours mis l’accent, plutôt que sur les cryptomonnaies». Et cette technologie «va s’imposer pour de nombreuses applications dans les années à venir», promet-il.
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Quitte à se montrer patient. Il ne faut pas l’oublier, abonde Mathias Ruch: «Nous sommes dans une phase expérimentale, ce marché est encore très immature et son infrastructure de base est en train d’être construite.» Un peu comme la Silicon Valley au début des années 1990, espère-t-il.