2018, une année terrible pour Facebook
Technologies
Affaires, failles de sécurité et scandales… Mark Zuckerberg avait promis de régler les problèmes de son empire, mais la confiance des utilisateurs et des régulateurs est écornée

Mark Zuckerberg avait commencé 2018 en promettant de «régler les importants problèmes» de son empire numérique, Facebook. Une marque cotée en bourse, qui continue à gagner des dizaines de milliards de dollars chaque trimestre grâce à la publicité ciblée, et dont l’écosystème titanesque mêle réseaux sociaux et applications parmi les plus populaires. Chaque jour, dans le monde, plus de 2 milliards de personnes se connectent au moins une fois à Facebook, Messenger, WhatsApp ou Instagram.
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Mais rien ne s’est passé comme prévu. En un an, Facebook a vu s’enchaîner affaires, failles et scandales, qui ont durablement écorné son image et la confiance que les utilisateurs et les régulateurs du monde entier pouvaient lui porter. La plupart trouvent leur origine dans des choix pris dans les années 2010 pour favoriser la croissance de Facebook, auxquels sont venues s’ajouter des erreurs techniques, comme la combinaison de bugs qui a permis à des pirates de subtiliser les données de 29 millions d’utilisateurs Facebook en septembre. Et d’autres bugs dans l’interface Facebook ont pu exposer à des centaines de développeurs extérieurs à Facebook les photos privées de 6,8 millions d’utilisateurs, comme on l’a appris le 17 décembre.
Cauchemar politique
Mais le vrai cauchemar politique s’est matérialisé en mars, avec le scandale Cambridge Analytica. Deux enquêtes du Guardian et du New York Times révèlent alors comment cette entreprise britannique, spécialiste de l’influence politique, avait indirectement siphonné les données de 87 millions d’utilisateurs de Facebook sans leur consentement. C’est grâce à ces informations que Cambridge Analytica vantait, dès 2015 lors de la primaire républicaine aux Etats-Unis, sa capacité à établir des profils psychologiques et politiques d’internautes à partir de leurs données Facebook, afin de définir ensuite au mieux les messages à leur diffuser pour influencer leur vote.
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Ces données ont-elles été exploitées afin de favoriser la victoire de Donald Trump à l’élection américaine de 2016? La réponse reste incertaine, mais l’affaire a renforcé des soupçons latents, et focalisé l’attention des politiques et de la justice. Le 19 décembre, le procureur général de Washington a annoncé avoir «lancé des poursuites contre Facebook pour avoir mal protégé les données de ses utilisateurs». La plainte reproche notamment à la firme d’avoir gardé le silence pendant plus de deux ans après avoir appris l’existence du problème. L’annonce a provoqué la chute de l’action Facebook en bourse, qui a perdu 7,25% de sa valeur en une journée à Wall Street.
Au Royaume-Uni, le rôle présumé de Cambridge Analytica pour influencer les électeurs en faveur du Brexit a conduit le parlement à demander directement des comptes à Facebook. Mark Zuckerberg a été sommé à plusieurs reprises de venir s’expliquer devant les parlementaires britanniques – ce qu’il a jusqu’ici refusé de faire en personne. Fait inédit: un député britannique, Damian Collins, a été à l’initiative, début décembre, de la publication de 250 pages de documents internes confidentiels de Facebook, saisies d’autorité auprès d’un développeur tiers, pour mieux faire comprendre quels rapports avait entretenus le géant américain avec les données de ses utilisateurs ces dernières années. Des documents internes qui «sont présentés de manière extrêmement trompeuse», a regretté Facebook, pour qui «les faits sont clairs: nous n’avons jamais vendu les données de nos utilisateurs».
Mais, davantage que la «vente» de données, ce sont surtout les accès à celles-ci, même de manière gratuite, qui sont au cœur du cyclone. Une enquête du New York Times publiée le 18 décembre a, par exemple, montré que des partenariats en bonne et due forme noués avec divers acteurs majeurs du numérique (Apple, Netflix, Spotify, Yahoo!…) ont pu conduire à des transmissions de données privées d’utilisateurs, sans que ces derniers en soient précisément informés.
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Deux jours plus tôt, deux épais rapports de chercheurs indépendants, remis au Sénat américain, montraient l’ampleur de l’utilisation de Facebook par des agents de propagande russe entre 2015 et 2017. A partir de plus de 200 faux comptes Instagram et Facebook, et grâce à certains de ses outils parfaitement légitimes (notamment sa plateforme de diffusion publicitaire), les agents russes ont réussi à diffuser plus de 170 000 messages auxquels ont réagi des dizaines de millions de citoyens américains sur la période, selon les données analysées qui ont été transmises par Facebook au Sénat.
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Dans d’autres pays, des opérations de propagande sur Facebook ont pu avoir des conséquences dramatiques. Par exemple en Birmanie, où le réseau a été accusé d’avoir laissé des messages de haine, des appels à la violence et de fausses informations proliférer à l’encontre des Rohingyas, cette minorité ethnique victime de «génocide» selon l’ONU. Les Nations unies ont estimé en mars que Facebook avait joué un rôle «déterminant» dans le processus; ce qu’ont confirmé des enquêtes de l’agence Reuters et du New York Times, qui ont décrit l’utilisation de Facebook par des militaires birmans haut gradés pour propager des messages viraux à caractère politique, raciste et violent contre les Rohingyas. Ceci, à travers des faux comptes, que Facebook a depuis fermés.
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Face à de tels enjeux, les dirigeants de Facebook ont dû plusieurs fois rendre des comptes sur la place publique. C’est le visage pâle, et vêtu d’un costume austère, que Mark Zuckerberg est allé, le 10 avril, se présenter devant le Sénat américain, pour répondre aux questions d’élus sur le rôle de sa société dans la campagne de 2016. L’exercice a également eu lieu devant la Commission européenne, quelques jours plus tard. La numéro deux de Facebook, Sheryl Sandberg, a elle aussi dû s’y résoudre en septembre. Des séances au cours desquelles les dirigeants de Facebook ont joué, plutôt avec succès, la carte de la contrition et des excuses.
Mais aux Etats-Unis, des sénateurs comme le démocrate Mark Warner ont profité de ces occasions pour montrer les dents, appelant le Congrès à «agir pour protéger la vie privée et la sécurité des utilisateurs». Ceci, dans un contexte où les républicains ont régulièrement accusé Facebook de biais démocrate et de censure à l’encontre des conservateurs. Fait rarissime, des messages d’employés de Facebook regrettant le manque de «diversité» politique au sein de l’entreprise ont fuité dans la presse. Fin décembre, Donald Trump lui-même dénonçait encore, dans un tweet rageur: «Facebook, Twitter et Google sont tellement en faveur des démocrates que ça en est ridicule!»
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Facebook s’est, dans ces situations, retrouvé pris au piège de son propre système de modération, jugé trop dur à droite, quand il bannit des comptes d’extrême droite parmi les plus populaires, comme celui d’Alex Jones, ou trop laxiste, quand il laisse proliférer fausses informations et théories du complot. Des phénomènes contre lesquels le réseau social a toutefois enregistré des succès, comme l’ont montré plusieurs études, dont une menée par Les Décodeurs du Monde en France. L’actualité récente, comme la forte utilisation par les «gilets jaunes» de groupes Facebook dans lesquels de nombreuses infox ont été partagées ou la propagation de fausses informations dans des millions de messages WhatsApp lors des élections brésiliennes, a montré toutefois que le problème est encore loin d’être réglé.
Pour ses vœux 2019, Mark Zuckerberg n’a pas, comme l’an dernier, fait de grandes promesses: son texte, publié le 28 décembre, se contente de lister les différentes mesures prises par son réseau social pour tenter de corriger le tir…