Jamais l’action d’Amazon n’avait valu autant. Après avoir dépassé jeudi la barre des 800 dollars, elle valait vendredi, à l’ouverture de Wall Street, 804 dollars. Le titre a doublé de valeur en l’espace de dix-sept mois, offrant au numéro un mondial du e-commerce une valorisation de plus de 388 milliards de dollars, ce qui en fait la quatrième capitalisation au niveau mondial, derrière Apple (617 milliards), Alphabet (Google, 542) et Microsoft (451).

Cette performance, Amazon la doit à une diversification qui s’accélère. Le groupe a annoncé jeudi l’extension de son programme «Handmade» à cinq marchés européens (Allemagne, France, Italie, Espagne et Grande-Bretagne), avec le but de permettre à des artisans de vendre leurs produits via son site. Ces articles sont disponibles en Suisse. Amazon prélève une commission de 12% sur les articles vendus. A noter que le groupe permet déjà à des écrivains de publier eux-mêmes leurs livres sous forme numérique.

Impression de photos

Toujours cette semaine, Amazon a décidé d’entrer sur un autre marché, celui de l’impression de photos. Il a lancé, pour l’heure uniquement aux Etats-Unis, son service Prints: une image au format 10x15 centimètres coûte 9 cents et le format 18x13 cm 58 cents. Pour certains produits, Amazon est sensiblement moins cher que les deux poids lourds actuels du marché américain, Snapfish et Shutterfly (dont l’action a chuté de 12% le jour de l’annonce d’Amazon).

Le service Prints sera ouvert aux clients d’Amazon ayant souscrit à l’abonnement «Prime», coûtant 99 dollars par an aux Etats-Unis (49 euros en Europe). La multinationale fait le forcing pour que de plus en plus de ses clients y souscrivent, en y intégrant déjà l’envoi gratuit et plus rapide de colis, le stockage gratuit et illimité de photos ou l’accès gratuit à des milliers de films et de chansons en streaming. Cette semaine, BMO Capital relevait sa prévision pour l’action du groupe, à 900 dollars, en ajoutant dans une note: «En une année, Amazon a gagné 26 millions d’abonnés à «Prime», ce qui est très important sachant que ces abonnés dépensent en moyenne davantage que les non-abonnés».

Numéro deux en Suisse

En Suisse, Amazon serait le deuxième site de e-commerce, selon une étude publiée cette semaine par les sociétés de recherche Carpathia et iBusiness. Digitec serait numéro un, avec un chiffre d’affaires de 640 millions de francs en 2015, devant Amazon (estimation à plus de 500 millions pour toute la Suisse) et Zalando (424 millions). Et ce alors même qu’Amazon ne possède pas de site web dédié à la Suisse. «Je ne pense pas qu’il soit lancé bientôt, car Amazon parvient à satisfaire les commandes suisses depuis l’Allemagne, la France et l’Italie. Et www.amazon.ch dirige déjà les clients vers les sites web de ces pays», estime Thomas Lang, de Carpathia. Lors de son dernier trimestre, Amazon avait réalisé un chiffre d’affaires global de 30,4 milliards de dollars (+31%), pour un bénéfice multiplié par neuf à 857 millions de dollars.


Amazon expérimente la semaine de 30 heures

Le programme ne concerne pour l’instant que quelques dizaines d’employés sur les 270 000 d’Amazon. La firme de Seattle va mettre en place une semaine de travail de 30 heures au lieu de la durée standard de 40 heures aux Etats-Unis. Les employés concernés – et leurs managers – feront partie d’équipes techniques mobilisées du lundi au jeudi de 10 à 14 heures. Le reste des horaires sera flexible. Si leur salaire baisse de 25%, ils conserveront les mêmes avantages sociaux qu’un salarié à temps plein.

«Nous voulions créer un environnement fait sur mesure pour des horaires réduits tout en encourageant la réussite et les évolutions de carrière», explique l’entreprise dans un communiqué. «Cette initiative a été créée en tenant compte de la diversité de notre personnel et avec l’idée que le modèle du temps plein ne correspond pas à tous», complète le texte.

La mesure n’est pas passée inaperçue aux Etats-Unis, un pays «accro au travail», commente pour «Le Temps» Ellen Galinsky, présidente du Families and Work Institute. «J’ai trouvé leur mesure inhabituelle. Beaucoup d’entreprises ont du mal à normaliser le temps partiel. C’est perçu comme une déviance ici», précise-t-elle. Même si cette semaine de 30 heures réservée à une poignée de salariés n’aura aucun effet économique sur un géant valorisé à 77 milliards de dollars, Galinsky espère qu’elle inspirera d’autres employeurs américains.

Qu’est-ce qui a conduit l’entreprise dirigée par Jeff Bezos à prendre cette décision? «Si l’on veut faire preuve d’optimisme, peut-être qu’Amazon a réalisé que les gens qui travaillent moins sont en général plus productifs et qu’ils forment une main-d’œuvre plus stable et loyale», propose Anna Coote, spécialiste des politiques sociales à la New Economics Foundation.

Guerre des talents

Dans la presse américaine, les cyniques ont vite évoqué un coup de pub, un après la publication d’un article dévastateur du «New York Times». On y apprenait notamment que la culture d’entreprise poussait les employés à travailler 80 heures par semaine ou que beaucoup d’entre eux ne prenaient pas de vacances.

Contrairement à Facebook, Google ou les autres grands noms de la Silicon Valley, Amazon ne recherche pas uniquement de la main-d’œuvre qualifiée. Stéphane Kasriel, patron de la plateforme Upwork, évoque malgré tout l’intense concurrence dans le secteur de la technologie.

«Seattle est devenu un nouvel épicentre de la guerre des talents. Les entreprises ont besoin de ces talents pour survivre», analyse-t-il. «Limiter son recrutement aux personnes pouvant travailler plus de 40 heures par semaine réduit drastiquement votre réservoir de professionnels compétents», ajoute Stéphane Kasriel.

Diversifier le personnel

Comme Netflix qui a instauré l’an dernier un généreux congé parental, ce temps partiel pourrait séduire les pères et surtout les mères de famille. Ce serait alors l’occasion pour Amazon de diversifier son personnel alors que 76% des postes de management sont tenus par des hommes. Mais l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle fait aussi partie des préoccupations des «millennials», dont la part dans la population active va gagner en importance.

Jeff Bezos anticipe peut-être l’automatisation des tâches et une autre tendance du marché de l’emploi: les travailleurs freelance pourraient représenter 40% de la population active américaine en 2020, en particulier dans l’informatique ou l’administratif, des secteurs stratégiques pour une structure comme la sienne.

L’initiative a ses critiques. Si la baisse du temps de travail s’accompagne d’une hausse de la productivité, à quoi bon réduire les salaires? Sur LinkedIn, la journaliste Lesley Jane Seymour se demande si le salarié choisissant le temps partiel aura les mêmes chances de promotion qu’un collègue travaillant 80 heures par semaine. (Loïc Pialat, San Francisco)