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André Kudelski: «Je sais qu’il faut de la patience»

Le groupe technologique a essuyé une nouvelle perte en 2022, bouclant quatre années sur cinq dans les chiffres rouges. Son directeur André Kudelski demeure optimiste, assurant que les efforts payeront plus tard

André Kudelski, directeur de Kudelski Security, Cheseaux-sur-Lausanne, Suisse, le 10 janvier 2023. — © Dom Smaz
André Kudelski, directeur de Kudelski Security, Cheseaux-sur-Lausanne, Suisse, le 10 janvier 2023. — © Dom Smaz

Une perte de 20 millions en 2018. Puis de 38,6 millions en 2019. En 2020, 18 millions de perdus. Une embellie en 2021 avec un bénéfice de 20,4 millions. Et finalement, en 2022, une perte de 16,3 millions de dollars, selon les chiffres communiqués ce jeudi. Sur les cinq dernières années, Kudelski aura été dans le rouge à quatre reprises. Le groupe technologique vaudois, basé tant à Cheseaux-sur-Lausanne qu’à Phoenix (Arizona) demeure en difficulté, le chiffre d’affaires ayant chuté de 8,1% à 715,9 millions de dollars en 2022. Il y a une autre constante au sein du groupe: l’optimisme de son directeur André Kudelski.

Le Temps: Que dites-vous à vos actionnaires et à vos employés qui ne voient pas la société sortir des chiffres rouges?

André Kudelski : Je sais que ce n’est pas facile pour eux et qu’il faut de la patience. Cette patience, je l’applique aussi à moi, en tant qu’actionnaire de référence. Le dernier exercice n’a pas été évident et il a été influencé par des facteurs extérieurs. Mais je veux aussi souligner les aspects positifs et, en particulier, le développement de notre activité de sécurisation de l’internet des objets, dont les revenus ont doublé à 15,7 millions de dollars, ainsi que la progression organique de 44% de nos revenus en cybersécurité en Europe, à 43,3 millions de dollars.

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Mais tout de même, on peine à voir quand Kudelski sortira durablement des résultats négatifs…

Il est fondamental de se donner les moyens de pouvoir assurer une croissance profitable et durable, et c’est notre objectif. Pour cela, nous continuons de fortement investir en recherche et développement. Nous ne voulons pas sacrifier ces investissements pour des profits à court terme. C’est un choix que nous assumons totalement, même si cela nous fait traverser des années difficiles. Nous raisonnons en tant qu’actionnaires à long terme.

N’êtes-vous pas trop positif?

Je suis définitivement un optimiste, mais cela ne m’empêche pas d’être aussi critique. J’ai une vision claire de la direction où doit aller l’entreprise. J’essaie de combiner optimisme et réalisme et, surtout, conserve le feu sacré pour y parvenir. Nous adaptons nos moyens pour atteindre nos objectifs de façon à assurer l’avenir de notre entreprise.

Avec un retour aux bénéfices en 2023?

C’est encore trop tôt pour le dire, mais l’EBITDA [bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements, ndlr] devrait se situer entre 40 et 60 millions de dollars, en progression par rapport aux 33,2 millions enregistrés en 2022.

Intéressons-nous à la cybersécurité. Elle ne représente que 15,5% de votre chiffre d’affaires et surtout ses revenus ont quasi stagné en 2022. N’est-ce pas inquiétant?

Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, l’indicateur principal de succès est la valeur ajoutée de cette activité, mesurée en million de dollars, et celle-ci progresse depuis plusieurs années et de plus de 25% en 2022. En Europe, où nos activités de cybersécurité ont démarré de façon organique, nous enregistrons une croissance importante du chiffre d’affaires depuis plusieurs années. Aux Etats-Unis, afin d’entrer sur le marché, nous avons acquis en 2016 et 2017 deux entreprises actives dans la vente de solutions tierces, que nous avons utilisées comme tremplins pour nos propres solutions sur ce marché. Avec le temps, cette activité de revente a diminué, alors que la croissance des ventes de nos propres solutions a continué de progresser. C’est par ailleurs notre stratégie initiale de développement américain.

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Vous venez de changer à deux reprises de chef de la division cybersécurité en quelques mois, pourquoi?

C’est un poste éprouvant. Le premier CEO, américain, a lancé l’activité de cybersécurité aux Etats-Unis. Son successeur, américain également, a ensuite assuré son développement des deux côtés de l’Atlantique. Il a décidé de quitter ce poste par choix personnel après quatre ans. Le nouveau responsable est Suisse, basé à Cheseaux, ce qui confirme la dynamique actuelle du marché de la cybersécurité en Suisse et en Europe.

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Mais vous aussi, vous passez votre temps entre la Suisse et les Etats-Unis. N’est-ce pas usant?

Tout est question d’organisation et de capacité à identifier et à se concentrer sur les activités essentielles. Cela me permet également d’être au plus près de nos deux principaux marchés. Et surtout, j’ai toujours la passion de mon métier, ce qui aide beaucoup.

Et le cumul de vos activités, entre la direction d’Innosuisse et votre nomination, il y a un an, à la présidence de la Fondation du Montreux Jazz, vous laisse-t-il assez de temps?

J’étais déjà investi avec un rôle actif depuis de nombreuses années dans le conseil de fondation du Montreux Jazz, mais de manière moins visible. Et une nouvelle fois, tout est question d’organisation et de se donner la capacité de gérer ces activités non exécutives en parallèle.

Parlons de votre activité principale, la télévision. Les hésitations de Netflix autour du partage des mots de passe pourraient-elles être une opportunité pour vous, alors que le streaming vidéo ne fait pas partie de vos marchés de base?

Nous offrons des services de protection et de sécurisation du contenu diffusé en ligne depuis de nombreuses années, aussi bien aux opérateurs traditionnels qu’aux nouvelles plateformes de streaming. La sécurisation des contenus s’effectue aujourd’hui de plus en plus de manière dématérialisée et s’appuie sur des technologies propriétaires de notre groupe. Nous avons également développé un modèle de clone numérique d’abonnés, permettant à un opérateur de simuler les réactions de chaque client en fonction de différents scénarios, notamment dans le cadre de la lutte contre le piratage.

L’action de Kudelski vaut aujourd’hui environ 2,20 francs, elle a perdu 37% en un an, 79% en cinq ans et votre valorisation n’est plus que de 114 millions de francs environ. Cela risque-t-il de stimuler l’appétit de sociétés voulant vous acheter?

Notre famille détient une part importante du capital et près de 60% des droits de vote, ce qui complique les potentielles opérations hostiles et demeure un important atout pour nos principaux clients. Nous restons toutefois vigilants et nous efforçons d’agir au mieux dans l’intérêt des actionnaires.