«Nous ne pouvons pas changer les conditions macroéconomiques.» Cette petite phrase, glissée à la fin de la lettre de Tim Cook aux investisseurs, en dit long. Aussi puissant soit-il, le directeur d’Apple n’a pas ces capacités. Et même si le fabricant de l’iPhone dicte les tendances du marché mondial du smartphone, il ne parvient pas à lutter contre un phénomène qui le dépasse: la stagnation globale des ventes de téléphones.

Diffusé dans la nuit de mercredi à jeudi, juste après la fermeture de Wall Street, l’avertissement sur résultats d’Apple – son premier depuis 2012 – a eu l’effet d’un choc. Déjà en baisse de 32% depuis son plus haut historique d’octobre, l’action reculait jeudi de près de 9% à 144 dollars à l’ouverture, entraînant dans son sillage à la baisse plusieurs places boursières. Pour son trimestre allant de septembre à décembre 2018, Apple s’attend désormais à un chiffre d’affaires de 84 milliards de dollars, au lieu des 91 milliards attendus par les analystes – les résultats définitifs seront annoncés le 29 janvier.

Tendance mondiale

Apple est victime d’une tendance mondiale: la stagnation des ventes de smartphones. Le fait que la société l’admet publiquement est nouveau. Mais les chiffres étaient déjà là. Depuis dix-huit mois, les ventes d’iPhone sont stables: une baisse de 1,2% au premier trimestre fiscal 2018 de la société, suivie d’une hausse de 2,9% et de deux baisses de 0,7 puis 0,5%. Si les revenus ont progressé de 13, 14, 20 puis 28%, c’est grâce à une hausse sensible des prix – faut-il rappeler que le premier prix de l’iPhone XS est 1198 francs?

Lire aussi: Apple parvient à vendre ses iPhone 30% plus cher

Apple soigne ses marges grâce à des prix élevés, mais le marché mondial est difficile. Selon la société de recherche américaine IDC, les ventes totales de smartphones ont baissé de 6% au troisième trimestre. «Cela a été le quatrième trimestre de suite de recul, ce qui pose des questions pour le futur de ce marché», écrivait IDC dans une note. La Chine – qui représente 20% des ventes d’Apple – est montrée du doigt. Selon IDC, le pays absorbe un tiers des ventes globales de smartphones et vient d’enregistrer trois trimestres consécutifs de repli.

Marché saturé

Si les ventes globales baissent, c’est que le marché des smartphones est saturé. Et que les cycles de remplacement s’allongent. Aux Etats-Unis, par exemple, les consommateurs gardent désormais leur téléphone en moyenne 32 mois, contre 25 mois un an plus tôt, selon une étude de la société de recherche NPD. Et la proportion de ceux qui le conservent plus de trois ans est passée de 18 à 22%.

Lire aussi: Le marché des tablettes chute depuis quinze trimestres, mais Apple s’en sort

Une tendance similaire se dessine en Suisse. Les gens utilisent leur smartphone plus longtemps, estime Comparis, les 18 à 35 ans le conservant environ deux ans avant de changer. Analyste télécom chez Comparis, Jean-Claude Frick voit trois raisons à cela: «Les smartphones sont de plus en plus chers. De plus, ils sont de si bonne qualité – surtout ceux coûtant plus de 500 francs – qu’il n’est plus nécessaire de les changer tous les ans ou tous les deux ans. Enfin, Swisscom, Sunrise et Salt ne subventionnent plus du tout les appareils. Il y a cinq ans, vous aviez 50% de rabais si vous renouveliez votre contrat. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, car les gens veulent changer de contrat en tout temps.»

Problèmes spécifiques

Apple a en plus un problème que la plupart des autres fabricants de téléphones tournant avec Android (le système de Google) n’ont pas. «Comme les appareils Android haut de gamme, tel le Mate 20 Pro de Huawei, sont moins chers que l’iPhone, leurs propriétaires peuvent en changer plus souvent. Et les utilisateurs d’Android n’ont pas des mises à jour aussi longtemps que ceux qui ont un iPhone, qui du coup le conservent plus de temps», poursuit Jean-Claude Frick. Enfin, le programme d’échange de batteries à coût réduit, lancé par Apple il y a plus d’un an, semble avoir été un succès – mais aucun chiffre à ce sujet n’a été communiqué.

A priori, le marché global des smartphones sera stable en 2019. Car aucune innovation majeure ne semble à même de faire progresser les ventes. L’écran pliable, présenté par Samsung fin 2018, ne sera pas une réalité avant plusieurs mois – et il n’est pas sûr qu’il soit un succès. Les capteurs photos et les fonctions biométriques vont s’améliorer, sans que cela soit révolutionnaire. Il faudra sans doute attendre 2020 et les smartphones 5G pour que le marché progresse de nouveau.