Le taxi se parque le long du trottoir, au cœur de Shenzhen, la grande métropole du sud de la Chine. On tend un billet de 100 yuans (13 francs) au chauffeur. Il nous regarde, perplexe, puis pointe du doigt un code QR orné du logo du réseau social WeChat affiché sur la paroi en verre qui le sépare des passagers. On tente de nouveau de lui passer de l’argent. Il secoue la tête, catégorique. Il faudra payer avec le porte-monnaie virtuel WeChat Pay, en scannant le carré pixélisé à l’aide de l’app. La même scène se répète peu ou prou chez Starbucks, chez le marchand de nouilles et chez la dame qui vend des boissons au soja dans la rue.

En Chine, l’argent a quasiment disparu. On se sert de WeChat Pay et d'Alipay – qui se partagent le marché à peu près à parts égales – pour tous ses achats, que ce soit pour faire les courses au supermarché, pour acheter une voiture ou pour payer sa facture chez le médecin.

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86% d’adeptes

Près de 86% de la population utilise régulièrement les paiements par code QR, y compris dans les zones rurales. A titre de comparaison, cette part n’atteint que 22% en Suisse. Chaque année, des transactions d’une valeur de quelque 200 trillions de yuans (26,6 trillions de francs) sont effectuées par ce biais, soit davantage que celles traitées par Visa et Mastercard combinés, selon les analystes.

«Ce système de paiement a vraiment décollé il y a environ cinq ans et a connu une croissance stratosphérique depuis, note Benjamin Cavender, un consultant basé à Shanghai spécialisé dans l’étude des consommateurs chinois. Loin d’enrayer cette progression, l’épidémie de Covid-19 lui a donné un coup de pouce en augmentant l’attractivité des transactions qui ne nécessitent pas de contacts entre êtres humains.»

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Etape sautée

Dans la plupart des pays, les consommateurs sont passés de l’argent aux cartes de crédit ou de débit et commencent tout juste à adopter les paiements mobiles. Mais la Chine, où les cartes bancaires sont peu répandues et ont souvent des limites de crédit basses, a sauté cette étape intermédiaire. «L’adoption des paiements par code QR y a donc été beaucoup plus rapide», souligne l’expert. Dans ce pays où le plus gros billet de banque vaut 100 yuans (13 francs), les consommateurs y voient une façon rapide, sûre et pratique d’effectuer leurs achats.

La simplicité de la technologie a également encouragé une majorité des petits commerçants à l’adopter. Contrairement aux plateformes utilisées dans les pays occidentaux comme Apple Pay ou Google Pay qui obligent les marchands à installer des bornes de paiement électronique coûteuses, il suffit d’imprimer un morceau de papier avec un code QR et de l’afficher sur sa caisse pour utiliser Alipay et WeChat Pay. Même les musiciens de rue et les mendiants s’en servent parfois pour récolter des dons.

L’incontournable WeChat

«Les frais facturés aux vendeurs sont également très bas, de l’ordre de 0,5% du montant de la transaction, contre 3% pour une carte de crédit», glisse Benjamin Cavender. Autre avantage, ces systèmes de paiement sont intégrés dans des apps qui fonctionnent comme de véritables écosystèmes. Les Chinois utilisent WeChat pour s’envoyer des messages, réserver des billets de train, acheter un vol ou se transférer de l’argent entre amis. «La plupart des gens, surtout les jeunes, passent une bonne partie de leur journée sur cette app, note l’expert. Il leur est donc tout naturel de s’en servir aussi pour effectuer des paiements dans le monde réel.»

Mais tant Alibaba que Tencent, les propriétaires d'Alipay et de WeChat Pay, songent déjà à la suite. L’an dernier, ils ont tous deux commencé à déployer des bornes dotées de caméras de reconnaissance faciale qui permettent de payer ses achats simplement en leur présentant son visage. Elles ont d’ores et déjà été déployées sur certaines lignes de métro, dans les restaurants de la chaîne de fast-food KFC et dans une partie des enseignes du dépanneur 7-Eleven.