Visilab vient d’accomplir sa révolution copernicienne. Le groupe familial genevois a déployé, en septembre dernier, sa stratégie numérique hybride. Soit un alliage de ventes en ligne et de réseau de magasins, baptisé «omnicanal». Résultat: le numéro un de l’optique en Suisse a terminé l’année avec un chiffre d’affaires de 237 millions de francs – soit environ 23,7 millions de bénéfices –, en hausse de 5,3%. Il a engagé dans la foulée 28 collaborateurs supplémentaires, venus s’ajouter à ses 891 salariés existants. Et ouvert quatre nouveaux magasins – ce qui porte à 96 le nombre de boutiques Visilab en Suisse –, deux fois plus petits, mais mieux adaptés à son nouveau mode opératoire. Entretien avec Daniel Mori, cheville ouvrière de ce qui, dans un marché suisse très disputé générant plus d’un milliard de francs de ventes par an, s’apparente à un exploit.

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Le Temps: Qu’est-ce que l’«omnicanal»?

Daniel Mori: C’est clairement la formule gagnante. Tout notre avenir repose sur ce nouveau modèle d’affaires. Le dispositif permet dorénavant à nos clients de choisir et tester virtuellement leurs lunettes, pour ensuite les acheter en ligne ou dans un magasin. Ou au contraire sélectionner leur produit sur la Toile, le payer ensuite en magasin et se faire livrer chez eux ou à leur travail. Il n’y a aucune limite aux combinaisons possibles. L’«omnicanal» est un concept où Internet ne concurrence pas nos points de vente physiques. Les deux canaux se combinent en parfaite symbiose. Le système est même vertueux, puisqu’il permet aussi d’augmenter les contacts humains, via le conseil.

– Pensez-vous avoir trouvé la pierre philosophale du commerce de détail, malmené par le commerce électronique?

– L’«omnicanal», qui a jusqu’ici exigé des dizaines de millions de francs d’investissements et l'aide de partenaires externes comme l'agence SQLI, a permis de multiplier par dix le nombre d’essais de lunettes en ligne et d’augmenter de 20% notre trafic Internet. Le dispositif devrait d’ici, 5 à 10 ans, augmenter fortement nos parts de marché, actuellement de 27%. Et entraîner l’ouverture de davantage de magasins [ndlr: quatre de plus sont prévus en 2017, outre-Sarine, soit le marché où Visilab réalise jusqu’à 70% de ses ventes]. Nous assistons à une remise en question complète du marché de l’optique.

– En quoi cette nouvelle stratégie a complètement bouleversé vos normes traditionnelles?

– Par exemple, notre nouveau magasin d’Hinwil, près de Zurich, fait 100 m2, soit la moitié d’un point de vente traditionnel. Mais il réalise le même chiffre d’affaires que nos surfaces conventionnelles de 200 m². A l’avenir, l’«onmicanal» nous permettra de densifier plus facilement notre réseau, avec des superficies deux fois plus réduites, mais aussi deux fois plus performantes et plus proches de nos clients.

– Prévoyez-vous de redimensionner vos magasins existants?

– Non, en raison de contraintes contractuelles. En revanche, tous nos points de vente futurs seront adaptés au numérique. Notre administration et support technique sont à présent centralisés. Nous avons aussi doublé nos surfaces stockage à Meyrin et procédé à une refonte complète de notre système informatique, marketing et totalement revu notre chaîne d’approvisionnement. En gros, nous avons tout mis à la poubelle et recommencé de zéro. Mais nous n’en sommes qu’au début d’un processus. Il est prévu de monter en puissance en 2017 et de finir en apothéose l’année suivante.

– C’est-à-dire?

– Ces prochaines semaines, nous allons ajouter l’optique à notre offre «omnicanal». Nous allons ensuite développer l’Internet des objets, avec des boîtes permettant de commander de nouveaux verres de contact par simple pression sur un bouton. Ou encore améliorer notre dispositif de réalité augmentée, pour les essais de montures. Nous réfléchissons aussi à l’introduction de plusieurs autres technologies de rupture.

– Qu’en est-il de votre initiative de casque de réalité immersive, pour les démonstrations d’un nouveau verre progressif?

– Cela n’a pas marché. Mes opticiens ont jugé que la technologie de casques virtuels n’était pas encore suffisamment au point. Selon eux, elle n’offre pas encore une vision parfaite. Mais je ne suis pas du même avis.

– Votre projet «omnicanal» a été lancé voilà six mois. N’est-ce pas trop tôt pour crier victoire?

– En août dernier, notre bilan intermédiaire n’était pas flamboyant. Nos résultats 2016 ont été réalisés les 4 derniers mois de l’année, soit avec l’introduction de l’«omnicanal». Ce dernier a démultiplié notre flux de clients. Certes, notre chiffre d’affaires réalisé uniquement sur le Web est pour l’heure marginal. Et il devrait le rester. En revanche, le taux de conversion – avec au moins une étape de l’acte d’achat passant par Internet – a donné des résultats impressionnants. Le potentiel des achats dits mixtes est extraordinaire. Il devrait représenter à terme 80% de toutes nos ventes.

– Pourquoi ne vous êtes-vous pas contenté de moderniser votre site Internet?

– Ceux qui imaginent que l’avenir leur est garanti, simplement parce qu’ils ouvrent un nouveau portail en ligne se trompent lourdement. Intégrer le numérique dans son modèle d’affaires implique de modifier toute son offre, intégralement. Visilab a davantage changé ces derniers mois, que les trois décennies précédentes. Tout le commerce de détail devrait faire de même. L’«omnicanal» est appelé à écraser les pure players.