Anticipation
Directeur du Laboratoire des systèmes intelligents de l’EPFL, Dario Floreano estime que les drones seront bientôt capables d’accomplir plus de tâches, mais aussi de collaborer entre eux

Drones, cryptomonnaies ou intelligence artificielle, quelles sont les futurs possibles des technologies? Nous y consacrons une série d’articles.
Dario Floreano, c’est un peu le père de la «Drone Valley» en Suisse romande. Cofondateur de l’entreprise SenseFly, basée à Cheseaux-sur-Lausanne et qui compte une centaine d’employés, l’homme est aujourd’hui directeur du Laboratoire des systèmes intelligents de l’EPFL. Il multiplie les projets, comme Dronistics – présent cette semaine au pavillon suisse du Consumer Electronics Show de Las Vegas –, qui ambitionne de créer de tout petits drones de livraison. Il détaille sa vision du futur de ces appareils.
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Le Temps: On parle depuis des années de livraisons effectuées par des drones, ces projets vont-ils se concrétiser de manière commerciale?
Dario Floreano: Absolument, je suis convaincu que ce sera bientôt une réalité. La question n’est désormais plus technologique, c’est plutôt une question de réglementation, comme on l’a vu récemment lors de tests menés à Zurich. L’un des obstacles rencontrés était le bruit des appareils dont des habitants se sont plaints. Il faut actuellement discuter avec le public et modifier la réglementation si nécessaire afin de rendre acceptable ce nouveau type de livraison. Mais du point de vue technique, nous sommes à bout touchant.
Mais on peut imaginer qu’il existe encore des obstacles, comme une météo hostile ou un risque de collision en milieu urbain…?
Oui bien sûr, comme tout appareil qui vole, un drone est soumis aux aléas de la météo. Mais il existe des parades, par exemple en cas de vent violent: l’appareil peut lui-même corriger et adapter sa trajectoire. Et grâce à des stations de mesures précises, on peut prédire la météo localement. Concernant les risques de chute, il n’est pas compliqué d’équiper des drones de livraison d'un parachute, voire d’un airbag, pour amortir tout choc lors d’un contact abrupt avec le sol. Je suis donc très confiant, d’autant que les progrès matériels et logiciels, via l’intelligence artificielle, sont très rapides.
Notre but est de créer des drones pliables qui puissent tenir entre les mains de tout le monde, même des enfants
Dario Floreano
Où en est votre projet Dronistics, visant à fabriquer des drones de livraison minuscules?
Nous en sommes encore à l’état de projet au sein de l’EPFL, avec l’ambition de créer une société cette année. Nous sommes en phase de pre-seed funding (préfinancement de démarrage), avec des stagiaires et des employés de l’EPFL qui travaillent sur le projet. Le but est de créer des drones pliables qui puissent tenir entre les mains de tout le monde, même des enfants, et qui soient aussi simples que sûrs à utiliser. Ces drones pourraient s’envoler ou atterrir de balcons ou de pas-de-porte. Nous visons un marché différent de La Poste ou d’Amazon, pour des micro-livraisons de petits objets. Dronistics pourrait être actif sur «le dernier centimètre des livraisons» et devrait être aussi simple à utiliser que WhatsApp. On pourrait ainsi imaginer des micro-livraisons sur le site d’un hôpital, d’un bâtiment ou d’un service à un autre. Idem sur le site d’une entreprise, entre plusieurs bureaux ou usines. D’ici deux à trois ans, ce projet pourrait se concrétiser aussi sous la forme d’un service utilisable par des particuliers.
Imaginez-vous que, de manière globale, les drones vont se transformer par rapport à ce que nous connaissons aujourd’hui?
Oui, tout à fait. L’avenir est aux drones multifonctions. D’ici trois à cinq ans, les drones évolueront vers des machines plus flexibles, ils ne seront pas uniquement capables de prendre des photos ou de faire des livraisons, mais aussi d'effectuer des manipulations. Ils pourront inspecter des ponts, des gratte-ciel et des lignes électriques. Ils seront aussi capables de porter un chargement et d’effectuer certains travaux, comme de souder des parties entre elles. On commence à voir certains prototypes de drones équipés de bras télécommandés, notamment en Espagne. On ajoute ainsi une nouvelle dimension. Ces drones pourront aussi voler, bien sûr, mais aussi marcher, effectuer des manipulations et de petits travaux.
Entrevoyez-vous d’autres tendances?
Oui, je pense que nous verrons apparaître des essaims de drones à l’avenir. Ce sera une flottille d’appareils avec des spécialisations pour des missions complexes. Ainsi, l’un sera capable de transporter une lourde charge, un autre communiquera avec le sol, un troisième se chargera de la météo… et tous communiqueront entre eux. Cela décuplera leurs possibilités.
Il existe une multitude de start-up actives dans le domaine des drones en Suisse, pourront-elles conserver leur avance?
Sans doute, mais il y a en face d’elles le géant chinois DJI, qui contrôle la majorité du marché du drone de loisirs. S’il décide d’entrer sur un autre segment du marché, il pourrait en devenir facilement le numéro un, via ses moyens colossaux. En Chine, dans la région de Shenzhen et Hongkong, les investissements en robotique et intelligence artificielle sont énormes. Il faut s’attendre à une forte concurrence des instituts de recherche et entreprises issues de cette région, mais en même temps la Chine est aussi une opportunité et un marché à découvrir pour les ingénieurs et entrepreneurs suisses.