Depuis 1998, la loi britannique prévoit une surveillance, pendant dix ans, des pédophiles sortis de prison. Un fichier national répertorie par ailleurs les auteurs de crimes sexuels contre des enfants. La réaction de la police ne s'est donc pas fait attendre. Tony Butler, chef de la police de Gloucester et représentant de la Fédération des officiers de police a accusé l'hebdomadaire de pratiquer un «journalisme irresponsable, qui risque de pousser certains criminels à agir davantage dans la clandestinité». Le résultat pourrait, selon lui, être inverse à l'objectif: les pédophiles déjà condamnés ayant tendance à se cacher, la sécurité des enfants sera encore moins facile à assurer. Sans compter le risque «d'expéditions punitives». «J'ai eu deux discussions avec la direction du journal mais ils n'ont pas écouté mes conseils» a déclaré le commissaire Butler.
Hier, le reste de la presse a suivi et a condamné en majorité la campagne de l'hebdomadaire. «Il existe toutes sortes de cas d'attentats à la pudeur et, parfois, des innocents ont été passés à tabac malgré leur acquittement» explique le Daily Mail. De son côté, le Daily Telegraph – propriété de Conrad Black, vieux rival de Murdoch – publiait un éditorial intitulé «Un sale boulot». «Ce journal prétend ne pas vouloir inciter à la violence, mais alors pourquoi emploie-t-il un langage aussi virulent? Et pourquoi publier les photos de violeurs d'enfants à côté de celles de délinquants moins graves?» s'interroge le très conservateur Telegraph, cependant que le Guardian (centre gauche) apporte une explication réaliste: «Sous couvert d'une campagne pour la protection des enfants, il ne s'agit ni plus ni moins de faire parler du journal, dont les ventes déclinent.»
Une fois n'est pas coutume dans un métier dominé par les hommes, l'auteur de cette campagne est une femme, Rebekah Wade, 34 ans, nouvelle rédactrice en chef, plus soucieuse dit-on de se faire un nom dans le monde sordide des journaux à scandale que d'informer ses lecteurs avec discernement. Avant elle déjà, nombre de rédacteurs en chef de tabloïds se sont fait un nom à travers des campagnes douteuses, frôlant la xénophobie ou affichant des opinions souvent antieuropéennes. Exemple, en juin1998, lorsque David Yelland, nouveau patron du Sun (premier quotidien populaire du pays) avait affiché en «Une» la photo de Tony Blair, accompagnée de la question: «S'agit-il de l'homme le plus dangereux de Grande-Bretagne?»: avertissement du rédacteur en chef au premier ministre, soupçonné de vouloir faire entrer le Royaume-Uni dans l'euro, concept honni par la «presse Murdoch». Et c'est encore le Sun qui, il y a deux ans, avait publié une photo d'un pédophile, donnant le coup d'envoi à un lynchage médiatique dont les tabloïds britanniques confirment une nouvelle fois s'être fait une spécialité.