Elon Musk, icône fantasque d’un monde obnubilé par la technologie
Ambition
AbonnéIl veut amener l’homme sur Mars, lire dans ses pensées et, désormais, s’emparer de Twitter pour y ériger la liberté d’expression en dogme. Aussi intrigant que fascinant, le fondateur de Tesla incarne à lui seul les défis que l’Occident entend relever grâce à l’innovation

L’or noir a eu John Davison Rockefeller, la mobilité du futur a Elon Musk. Plus encore que Mark Zuckerberg, le patron de Tesla est devenu le chef de file d’une société qui entend progresser grâce au savoir et à la technologie. Le Time ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en le désignant en décembre dernier «personnalité de l’année 2021».
Quelques semaines après avoir provoqué Vladimir Poutine en duel sur Twitter, Elon Musk monopolise une nouvelle fois l’attention. Après avoir acquis 9% des actions du réseau social gazouilleur, il a décidé de s’en emparer pour un montant d’environ 43 milliards de dollars, quitte, a-t-il fait savoir jeudi, à opérer une OPA hostile. La semaine dernière, le conseil d’administration de sa proie a réservé un accueil glacial à son projet, dégainant une «pilule empoisonnée» pour y faire barrage: si le fantasque entrepreneur établi au Texas dépasse les 15% de participation dans la société, la mesure permettra d’émettre de nouvelles actions à un tarif préférentiel pour les autres détenteurs de titres.
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L’homme le plus riche du monde est-il prêt à tout pour faire main basse sur Twitter? Longuement interrogé jeudi dernier sur le plateau des Ted Talks, Elon Musk s’est montré déterminé. Se décrivant comme un «intégriste de la liberté d’expression», celui dont la fortune est estimée à 265 milliards de dollars a clarifié ses motivations: faire la lumière sur le mystérieux algorithme qui fait la pluie et le beau temps sur le réseau et offrir au monde une plateforme de débat et de discussion libre de toute censure. Un espace dans lequel «quelqu’un que tu n’aimes pas a le droit de dire quelque chose que tu n’aimes pas».
Une personnalité sans filtres
Confortablement installé dans un fauteuil capitonné de tissu rouge, le multimilliardaire est apparu posé et réfléchi. Une image qui contraste avec celle que renvoient ses tweets provocateurs qui ont fini par mettre à mal sa crédibilité. Ce comportement pourrait, en partie en tout cas, s’expliquer par le syndrome d’Asperger dont ce Sud-Africain d’origine naturalisé américain affirme souffrir. «Je sais bien que je dis ou poste des choses étranges, mais c’est justement la façon dont travaille mon cerveau», a-t-il argué il y a un an dans un célèbre show télévisé américain, en révélant cette affection. «A toutes les personnes que j’ai pu offenser, je dis: j’ai réinventé la voiture électrique et j’envoie des gens sur la planète Mars à bord d’une fusée. Vous pensez vraiment que je serais un gars détendu et normal?»
Des propos qui rappellent à quel point, avant d’être un personnage excentrique, Elon Musk a fait preuve d’esprit de vision, abandonnant en 1995 les bancs de la prestigieuse université californienne de Stanford pour se jeter à bras-le-corps dans la révolution lancée par l’invention du web. Un logiciel d’édition, puis une banque en ligne qui, après plusieurs fusions, donnera naissance au service de paiement électronique PayPal offriront ses premiers millions à l’ingénieur né le 28 juin 1971 à Pretoria, d’un père actif dans le secteur minier et d’une mère mannequin et diététicienne. De cette enfance passée dans un pays qui ne s’était alors pas encore défait de l’apartheid, Elon Musk parle peu. Si ce n’est pour signaler qu’elle ne fut pas très heureuse, consacrée en premier lieu à engloutir des livres de philosophie et à programmer des nuits durant devant son ordinateur.
Cette passion pour la science computationnelle doublée d’une volonté de comprendre la «vérité de l’univers» seront à l’origine de la création en 2002 de la société SpaceX, dont l’objectif ultime est la conquête de Mars. Elle se «contentera» dans un premier temps de mettre au point des lanceurs – les fusées Falcon – et des sondes spatiales. Si elle suscita quelques ricanements à ses débuts, l’entreprise réussira finalement à s’imposer, devenant un prestataire privilégié de la NASA. Aujourd’hui, c’est elle qui achemine notamment les astronautes pour leurs missions à bord de la Station spatiale internationale.
La valorisation de Space X a été estimée l’an dernier à 100 milliards de dollars. C’est encore dix fois moins que la valeur que le marché attribue à Tesla, véritable vaisseau amiral de l’empire économique d’Elon Musk. Dix-huit ans après l’arrivée de l’homme d’affaires au sein de son capital, l’ex-start-up a dégagé en 2021 un chiffre d’affaires de près de 54 milliards de dollars. Pour honorer la confiance de ses investisseurs, le constructeur automobile devra encore monter en puissance afin de pouvoir répondre à la demande. Un défi dont son principal actionnaire est bien conscient, lui qui a toujours assuré vouloir, grâce à ses véhicules à moteur électrique, affranchir l’humanité de sa dépendance aux sources d’énergie fossiles. Fondée en 2016, The Boring Company ambitionne, elle, de créer un réseau de tunnels souterrains pour libérer les villes de leur trafic, tandis que Neuralink, créée une année plus tôt, veut développer un implant cérébral, destiné en premier lieu à soigner des paraplégiques.
Un procès en mai
Parce qu’il pourrait permettre de rentrer dans l’intimité des pensées humaines, ce dernier projet suscite également la controverse. Le riche et dense parcours d’Elon Musk n’est d’ailleurs pas exempt d’aspérités. A maintes reprises, celui-ci s’est trouvé au bord du gouffre financier avant de parvenir à imposer ses modèles électriques sur les routes du monde entier. Sa «tweetomania» a elle aussi été source d’ennuis. Elle lui vaudra de se retrouver le mois prochain devant la justice, soupçonné d’avoir manipulé il y a deux ans le cours de l’action de Tesla. Il avait alors annoncé son intention de retirer sa société de la bourse, assurant être en discussion avec le fonds souverain de l’Arabie saoudite pour financer l’opération. Les négociations ne furent jamais confirmées.
Le régulateur lui avait déjà imposé de céder la présidence du conseil d’administration de Tesla et de payer une amende de 20 millions de dollars. Dans la foulée, il avait exigé que les tweets de l’entrepreneur directement liés à l’activité de Tesla soient pré-approuvés par un juriste compétent, une mesure contestée par le principal intéressé.
Ces déboires sont-ils à l’origine de sa dernière obsession? Enigmatique, l’homme a en tout cas assuré jeudi avoir un «plan B» si sa tentative de rachat de Twitter échouait. Autant dire que ce qui s’annonce comme l’un des feuilletons financiers de l’année n’a pas encore connu son épilogue.