Facebook, Twitter ou Netflix ont développé des techniques perfectionnées pour rendre l’utilisateur captif, le récompenser à intervalles réguliers et susciter un manque lorsqu’on n’utilise pas leurs services. Nous explorons cette nouvelle dépendance dans une série d'articles.

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Un épais manteau blanc recouvre les toits de la ville. La scène est sublime, difficile de résister à l’envie de l’immortaliser. En quelques clics, le cliché est publié sur le réseau social Instagram. Un geste banal, et pourtant: l’application mobile est entièrement pensée pour harponner l’utilisateur. Des filtres colorés permettent par exemple d’embellir l’image. Cette fonction donne la sensation d’être un artiste, d’avoir des super-pouvoirs. Résultat: le temps passé sur le service augmente. Les plateformes technologiques captent l’attention des internautes pour gagner de l’argent grâce à la publicité. Une maxime résume leur modèle: «Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit.»

Depuis quelques années, des concepteurs tirent le signal d’alarme. Selon eux, il est urgent de développer un design responsable et éthique. «Ce concept fait référence à des produits ou services qui respectent l’intégrité de l’utilisateur. Il s’agit de respecter ses données personnelles et son bien-être», résume le concepteur Gauthier Roussilhe. Auteur d’un documentaire sur le design éthique, il assure que les professionnels du secteur ont pris conscience du problème. «Mais on ne sait pas encore comment le résoudre. Le modèle économique basé sur l’attention des internautes n’est pas pérenne, on finira tous par s’entretuer par commentaires interposés si on persiste dans cette voie», ironise-t-il.

«Une question de pouvoir»

Deux anciens employés de Google ont créé l’association Time Well Spent pour défendre les «intérêts» des utilisateurs. «Le design basé sur le comportement peut sembler anodin, car il s’agit essentiellement de cliquer sur des écrans. Mais que se passe-t-il quand cela devient une économie mondiale? Il s’agit alors d’une question de pouvoir», prévenait Tristan Harris dans un article de The Economist publié en novembre 2016.

La star de la Silicon Valley rêve d’entreprises qui aident les internautes à mieux dépenser leur temps. Cela passe par une nouvelle manière de mesurer la valeur économique d’un service. Exemple avec l’application de rencontre Tinder: au lieu de se concentrer sur le nombre de «j’aime» ou de «matchs», l’entreprise pourrait mesurer les relations romantiques et épanouissantes créées par son service. «Cela nous ferait passer d’une économie entièrement basée sur le temps passé à un monde axé sur le temps bien dépensé», expliquait-il lors d’une conférence TEDx en 2014.

Voir la page TED de Tristan Harris.

Les créateurs des interfaces addictives

Dans ce combat, les designers sont pointés du doigt. Ils sont les créateurs d’interfaces addictives. Pour réguler le secteur, certains souhaitent la création d’une charte. Il est toutefois difficile d’appliquer de telles recommandations. La responsabilité incombe également aux dirigeants d’entreprise. «Le pauvre designer est en bas de l’échelle. S’il ne fait pas ce qu’on lui demande, il se fait licencier et quelqu’un d’autre prend sa place», affirme Nicolas Nova.

Les pouvoirs publics sont également sollicités pour établir une réglementation. «Mais il est difficile de trouver des formes d’intervention publique dans des espaces qui échappent encore au politique», ajoute le professeur à la HEAD – Genève. L’association Time Well Spent mise sur l’action des consommateurs pour faire bouger les choses. Mais face à des entreprises qui pèsent des centaines de milliards de francs, la bataille s’annonce longue.