Femmes de technologie et fières de l'être
Égalité
De plus en plus de femmes occupent des fonctions clés dans le secteur technologique en Suisse, que ce soit au sein de multinationales ou de start-up. Une conférence organisée à Carouge a mis un coup de projecteur sur trois parcours hors du commun

Pour ses 20 ans, Le Temps met l’accent sur sept causes. Après le journalisme, notre thème du mois porte sur l’égalité hommes-femmes. Ces prochaines semaines, nous allons explorer les voies à emprunter, nous inspirer de modèles en vigueur à l’étranger, déconstruire les mythes et chercher les éventuelles réponses technologiques à cette question.
Taïssa Thierry Chaves fréquente souvent des conférences technologiques. «Je voyais qu’il y avait peu de femmes dans la salle et que la proportion de femmes sur scène était encore plus faible. J’ai lu qu’elles n’étaient que 6%! Je me suis alors dit qu’il fallait agir.» Cette consultante en numérique, basée à Genève, lance en 2014 Women in Digital Switzerland. «Le but est d’effectuer un coup de projecteur sur tout ce que font les femmes, en Suisse, dans la technologie. Nous voulons les mettre en avant, leur donner confiance et créer de l’émulation.»
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Aujourd’hui, Women in Digital Switzerland compte 2000 membres et organise régulièrement des événements partout en Suisse. Jeudi, sa conférence annuelle, qui se tenait à Carouge, a vu défiler sur scène des hautes responsables de Google, Microsoft et Nestlé, mais aussi de plusieurs start-up. Elles ont présenté leurs projets en internet des objets, en blockchain, ou dans les drones. L’occasion de mettre en avant, ci-dessous, trois femmes au profil atypique en Suisse.
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Face au public – parmi lequel se trouvaient plusieurs hommes –, elles ont parlé de leurs projets, de technologie et d’innovation. Mais très peu de genre. «Les femmes sont certes rares dans le monde de la technologie, mais il y en a de plus en plus. Et je n’ai jamais souffert de cette situation. Au contraire, nous suscitons parfois davantage d’attention. A nous de l’utiliser au mieux», relève Sonja Betschart, fondatrice de WeRobotics.
Plus d'infos: https://www.womenindigitalswitzerland.com
Sandra Tobler et le futur des mots de passe
Qui pense authentification sécurisée sur un smartphone pense au système de biométrie Face ID sur iPhone ou à la reconnaissance d’empreintes digitales. Mais une start-up suisse, cofondée et dirigée par Sandra Tobler, veut sécuriser les transactions sur téléphone via une autre technologie: l’écoute des bruits ambiants. Sa société Futurae, basée à Zurich, a même signé avec l’opérateur de la bourse suisse SIX pour qu’elle propose ce système à certains de ses clients. «Ils n’auront plus à utiliser un système à double authentification par mot de passe et «token» [numéro envoyé par SMS, ndlr]: notre système écoutera les bruits ambiants autour de l’ordinateur et du smartphone, les comparera et garantira ensuite un accès sécurisé», explique Sandra Tobler.
Son entreprise, dont Le Temps parlait en août 2017 déjà, avance sur plusieurs fronts. «Nous sommes en train de boucler un premier tour de financement de 1,5 million qui va nous permettre de nous diversifier, poursuit l’entrepreneuse. Nous travaillons sur de nouvelles solutions révolutionnaires dont je ne peux pas encore parler… Nous venons d’être cités comme référence par la société américaine de recherche Gartner. Et nous voulons continuer à proposer nos services existants à l’étranger: nous avons déjà des clients en Angleterre et à Hongkong.»
Futurae, qui compte huit employés, ne craint pas la concurrence: «Nos solutions d’authentification, actuelles et futures, se greffent au sein des applications web et des nouveaux appareils qui n’ont pas d’écran [tels les assistants, comme l’Echo d’Amazon, ndlr]. Même si le marché de l’authentification est très concurrentiel, une large gamme de technologies est nécessaire pour rendre la vie difficile aux pirates», affirme Sandra Tobler.
Sonja Betschart, des drones utiles
Les drones sont surtout des appareils de loisir ou utilisés pour des projets de livraison d’Amazon ou de La Poste. «Ces appareils peuvent aussi être extrêmement utiles dans les pays en développement. Nous multiplions les projets très concrets sur le terrain», souligne avec enthousiasme Sonja Betschart. Cette ancienne employée de Swisscom a lancé en 2016 la start-up WeRobotics, basée à Genève et à Wilmington dans le Delaware. La société, qui a la particularité d’être à but non lucratif – ce qui lui permet de travailler plus facilement avec des ONG et des agences de l’ONU –, teste les drones dans des environnements variés. «La semaine passée, de fortes pluies ont causé des inondations à Dar es Salaam, en Tanzanie, poursuit l’entrepreneuse. Des images satellites ne permettent pas d’estimer avec précision les dégâts et les besoins, notamment à cause des nuages. Les drones se sont montrés dans ce cas très utiles.»
Autre continent, autre problème. A Juazeiro, au Brésil, les machines volantes sont testées pour combattre le virus Zika. «Auparavant, les moustiques modifiés génétiquement, servant à combattre cette maladie, étaient disséminés par camions ou à pied», explique Sonja Betschart. «Là aussi, les drones que nous testons sont très utiles pour faire reculer Zika.» Au Pérou, les drones sont mis à l’épreuve par WeRobotics pour acheminer rapidement, dans des régions reculées, des traitements contre les morsures de serpent.
WeRobotics compte aujourd’hui une vingtaine de personnes et cherche à lever 6 millions de francs pour se développer durant les trois prochaines années, notamment en créant un réseau de «flying labs». Il s’agit de bases, réparties dans plusieurs pays, où les projets de WeRobotics sont développés en partenariat avec des acteurs locaux.
Imai Jen-La Plante analyse l’image de la Suisse
Un coup d’œil au CV d’Imai Jen-La Plante peut donner le vertige. Cette Américaine, qui œuvre aujourd’hui entre autres pour le Département fédéral des affaires étrangères, a étudié la physique dans les universités de Washington et de Chicago où elle a obtenu un doctorat, avant de travailler au CERN sur le boson de Higgs, pour ensuite travailler quatre ans au Japon, notamment dans l’analyse de données. Les données, c’est le fil rouge du parcours d’Imai Jen-La Plante: «Au CERN, nous allions récolter ces informations dans des kilomètres de tuyaux sous terre», sourit-elle. «Aujourd’hui, tout se numérise et toutes les organisations ont faim de données et veulent en tirer le maximum.»
La spécialiste travaille dorénavant pour Présence Suisse, qui a pour but de promouvoir l’image de la Suisse en dehors de ses frontières. «Nous voulons estimer et analyser de la manière la plus précise possible l’image de la Suisse à l’étranger, explique Imai Jen-La Plante. Nous analysons des quantités de plus en plus importantes de données, notamment sur les réseaux sociaux, pour savoir ce qui se dit sur la Suisse et pour réagir ensuite rapidement.» Il y a par exemple l’analyse de ce qui s’écrit sur Twitter, réseau social où la Suisse a beaucoup été citée récemment suite au suicide assisté, à Bâle, du scientifique australien de 104 ans David Goodall.
«Nous analysons aussi ce qui est publié sur Instagram, poursuit Imai Jen-La Plante. Nous venons de scanner 6 millions d’images via des algorithmes capables de détecter ce qui se trouve sur les photos. Ce sont surtout des images d’extérieur, avec du ciel, des montagnes et des arbres qui sont présents. Cela peut nous donner des idées pour nos prochaines promotions à l’étranger.»