#LaFrancequicraque
Catherine Barba a quitté récemment Paris pour New York. Entrepreneure digitale accomplie, spécialisée dans l'observation des nouvelles tendances marketing, elle a côtoyé de prés ces «pigeons» numériques qui, au début du quinquennat de François Hollande, menaçaient de quitter l'Hexagone

Cette France qui craque
La France nous inquiète. A un an des élections présidentielles, les convulsions sociales et le sentiment d’impasse politique dans lesquels est englué notre grand voisin constituent un défi de taille. Comment la France peut-elle surmonter ses fractures? Peut-elle se réinventer? Pendant une semaine, «Le Temps» analyse ce pays qui fascine et qui trouble.A Paris, son salon de la «Femme digitale» s'est tenu en mars. Un mois plus tard, Catherine Barba et son CB Group organisaient à New York le «Women Innovation Forum». Entre la France et les Etats-Unis, où elle s'est installée depuis septembre 2015, cette cheffe d'entreprise numérique dispose de solides éléments de comparaison pour observer un Hexagone toujours au bord de la crise de nerfs. Constat lucide et tout de même optimiste.
Le Temps: Vous regardez désormais la France depuis les Etats-Unis. Votre diagnostic sur la société et l'économie française ont-ils changé avec votre expatriation?
Catherine Barba: Pas vraiment. Il va de soi que l'Amérique surfe sur un cycle plus positif et plus dynamique. Je regarde donc l'Hexagone depuis New York avec un filtre différent, qui fait sans doute ressortir les difficultés. Le plus frappant, vu d'ici, est de constater que la France navigue entre deux mondes, d'où sa difficulté à trouver un équilibre. Le pays reste tétanisé par la peur du lendemain et l'angoisse de voir ce nouveau monde numérique innovant détruire carrières, emplois et rentes. L'autre versant de cette innovation, créatrice d'opportunités - et donc aussi d'emplois et de richesse - est beaucoup moins mis en avant que de ce coté-ci de l'Atlantique. La fracture française qui me préoccupe le plus est celle de l'état d'esprit, de la manière de regarder le monde. Une grande majorité de Français ne voient que le verre à moitié vide. Ils ne voient pas que la révolution numérique est en train de remplir l'autre moitié.
– Question de génération ? Problème de mentalités?
– Beaucoup de seniors observent ces changements avec attention et intérêt. On ne peut pas réduire cette fracture à une césure entre générations. Je constate aussi, lorsque je suis invitée à parler dans les écoles, que les parents d'élèves présents posent de très nombreuses questions. Partout où je vais en France, je constate également un engouement croissant pour l'entreprise. L'initiative individuelle y est bien plus valorisée qu'avant. Les petites graines semées par les entrepreneurs du numérique sont en train de germer, et cette somme d'initiatives va, j'en suis sûr, finir par grignoter le vieux modèle. Bien sûr, certains comportements restent incompréhensibles: comment comprendre qu'une entreprise - et ce n'est pas une blague - interdise les tablettes en raison des douleurs «musculo-squelettiques» qu'elles provoquent ? C'est pour cela que je parle de deux mondes qui se côtoient, qui se frottent l'un à l'autre. Il n'y a pas une France. Il y a plusieurs France.
– La dynamique que vous constatez aux Etats-Unis est aussi une question de société. Le système américain est basé sur l'initiative. Comment faire pour la France bascule davantage de ce côté-ci? Attendez-vous plus de l'Etat?
– Je suis sceptique à l'égard de l'Etat et je me méfie beaucoup des médias. Je crois surtout à l'exemplarité, que les médias sociaux permettent de propager. Les réussites françaises comme celles de Xavier Niel, la fondateur de Free, sont très inspirantes. Je constate que les choses changent. Un basculement est en train de s'opérer.
"WE AAAAAARE FAAAAAMILYYYYY" pic.twitter.com/hEwFaphVPB @WinforumNY #QuelleFete #MerciATous #ThankYou #WomenYouRock ;) pic.twitter.com/pBBmklCRpM
— catherine barba (@cathbarba) April 26, 2016
– On se souvient du mouvement des «pigeons», ces entrepreneurs du secteur numérique qui menaçaient, au début du quinquennat Hollande, de quitter la France pour protester contre le fardeau fiscal. Vous étiez proche de ce mouvement. Les «pigeons» sont-ils aujourd'hui réconciliés avec la France?
– Il est d'abord important de dire que la France n'est pas nécessairement cet enfer fiscal que l'on dépeint parfois trop vite. Je paie plus d'impôts depuis je suis installée aux Etats Unis, et je peux vous dire que les clients américains sont par exemple très attachés à la préférence nationale. La vraie différence, c'est ce biotope numérique américain, cet écosystème unique qui vous permet de lever des fonds impressionnants, compte-tenu de la masse incroyable de capitaux prêts à s'investir dans le digital. Les «pigeons» sont des entrepreneurs majeurs et vaccinés. Ils savent ce qu'ils font. Si la France se met à valoriser davantage l'esprit d'entreprise, alors ils ne prendront pas la fuite. Ce qui ne les empêchera pas de s'expatrier pour profiter d'opportunités à l'étranger...
– Parlons d'opportunités justement. Etre une femme française dans l'économie numérique, c'est un atout?
– Ce nouveau monde digital regorge d'opportunités pour les femmes en général. C'est une autre réalité de ce «nouveau monde» qui divise la France. Etre française procure sans doute un avantage si vous travaillez dans le domaine du savoir-vivre, de la décoration, du luxe, car vous bénéficiez là de l'image très positive qu'a encore la France. L'économie numérique est fascinante car elle rebat toutes les cartes. Or notre pays n'était pas préparé à un tel chamboulement.
Précédents chapitres de notre série
- A Saint-Denis, dans les fossés du métissage
- Bordeaux, la métropole réinventée
- A Toulouse, la CGT reste déterminée
- Shlomo Sand: «Il n’y a plus de grands penseurs en France»
- Jean-François Bayart: «La France nourrit une schizophrénie par rapport à la globalisation»
- Le risque d’une France qui craque
- Daniel Cohn-Bendit: «La France est épuisée par le mélodrame de la crise»
- L’hypothèse du think tank Les Gracques: Ce dont la France fracturée a besoin, c’est de social-libéralisme
- Notre éditorial: La France sera-t-elle sauvée par ses villes?