Le Conseil d’Etat genevois a officialisé ce mercredi la nomination du diplomate suisse Nicholas Niggli au poste de directeur général de la nouvelle direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (DGDERI). La mission de celui qui a notamment présidé les pourparlers ayant conduit à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics, l’un des rares succès récents dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce: assurer la transition numérique et énergétique du canton.

Plus exactement, élaborer un plan de bataille pour doper l’économie de la connaissance, profiler à l’international les qualités du bout du lac et générer les emplois de demain. Entretien exclusif avec le nouvel atout du canton, formé au management de crise et aux dynamiques de négociations complexes.

Le Temps: Quels atouts de Genève allez-vous mettre en avant?

Nicholas Niggli: Après discussion avec l’autorité politique et selon le mandat qui m’a été confié par le magistrat, je compte m’accorder une centaine de jours pour établir un programme détaillé. Le tissu économique du canton regorge de secteur phares et d’une densité de clusters remarquable, dont les sciences de la vie, le secteur financier et certaines niches de pointe des technologies de l’information et de la communication telles que la cyber-sécurité, l’internet des objets et l’analyse des données, soit l’or du XXIe siècle. Et je n’oublie évidemment pas le négoce de matières premières, mais aussi la parfumerie et les arômes, ou encore l’arbitrage.

Enfin, il s’agit bien entendu de mentionner la Genève internationale, laquelle offre des opportunités économiques qui me semblent à ce jour pas entièrement exploitées. Sur un territoire exigu mais exceptionnellement ouvert sur le monde, nous possédons en d’autres termes une concentration hors du commun de talents de très haut niveau. Il s’agit là d’une ressource fondamentale, dont il faut garantir la pérennité via un dispositif réglementaire sûr, compétitif et largement prévisible. Il faut également créer les conditions-cadres propices aux synergies constructives d’où, in fine, jaillira l’innovation de rupture.

– L’économie du bout du lac est-elle menacée?

– Pour l’heure, le verre est plus qu’à moitié plein. Ceci étant dit, une partie significative de l’industrie d’exportation continue de souffrir du franc fort. Le secteur bancaire traverse lui aussi des difficultés. Enfin, à l’international, il y a récemment eu de nombreux mouvements tectoniques, qu’il convient de surveiller de près et dont les effets potentiels sur le tissu économique genevois doivent être correctement appréhendés, dans la mesure du possible. Face à ces défis, je préconise de prendre un peu de distance. Regarder la situation depuis l’étranger permet de relativiser. Genève n’est pas le seul endroit à connaître des perturbations.

Néanmoins, il convient surtout d’anticiper et de travailler à renforcer les atouts de Genève. Pour reprendre la formule des stratèges chinois de l’antiquité, chaque crise ou difficulté est une opportunité. La vocation de la nouvelle direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation est, précisément, de saisir ces opportunités.

– C’est-à-dire?

– Le canton se situe à un tournant économique. La concurrence internationale est de plus en plus féroce. Le canton ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Les modèles d’affaires traditionnels sont aujourd’hui remis en question, en raison notamment des changements réglementaires et de la transformation du tissu entrepreneurial. L’ère numérique et des chaînes de valeurs mondialisées sont appelées à exacerber les défis existants mais également à créer des nouvelles chances.

– En résumé, votre mission consiste à préparer le canton à la 4e révolution industrielle?

– Les fondements qui ont jusqu’ici fait la prospérité de Genève sont en profonde mutation. Les répercussions sociales de ce changement de paradigme s’annoncent importantes. Toutefois, mon mandat ne couvre pas uniquement l’industrie 4.0. Il s’agit également d’accompagner la transition énergétique et l’émergence de l’économie circulaire. Cela étant dit, le salut ne passe pas uniquement par des investissements dans la R&D et le développement durable. Pour que le canton puisse tirer son épingle du jeu, il doit aussi monter en puissance en matière de communication. C’est-à-dire augmenter la portée, la force et la clarté des messages à destination des investisseurs et des entrepreneurs et mieux conjuguer à l’avenir le «faire savoir» avec un savoir-faire de très haut niveau.

– Les finances publiques n’étant pas au meilleur de leur forme, de quel budget disposerez-vous?

– La 3e réforme de l’imposition des entreprises [ndlr: RIE III], prévoit la mise en œuvre d’un fonds genevois pour l’innovation, alimenté via un taux à 13,79%, au lieu de 13,49%, durant les cinq premières années de l’aggiornamento. Pour autant que les citoyens suisses et genevois votent successivement en faveur de cette nouvelle ère fiscale, nous allons notamment bénéficier de ces ressources, lesquelles seront allouées directement aux PME et aux jeunes pousses souhaitant prendre le virage numérique, dans une perspective de création d’emploi.

– Vous vous préparez à défendre des intérêts locaux. La diplomatie économique fédérale ne risque-t-elle pas de vous manquer?

– Je préfère porter mon regard sur la route qui s’ouvre à moi, plutôt que dans le rétroviseur. S’il fallait néanmoins tirer un bilan, mes 15 années d’expérience au service de la diplomatie économique helvétique m’ont permis d’apprendre énormément sur la manière dont les Etats manœuvrent sur l’échiquier géo-économique international. De même, j’ai pu me pencher sur les stratégies mises en œuvre par les collectivités régionales et locales pour attirer et retenir les entreprises et favoriser l’entrepreneuriat ces quatre dernières années.

Enfin, j’ai eu le privilège de travailler avec des personnalités marquantes, de présider à des négociations commerciales, de faire aboutir des processus politiquement délicats et techniquement complexes. Dès le premier mai, je conjuguerai simplement ces savoirs et ces expériences avec mon intérêt du service public dans le cadre d’une structure cantonale, en compétition – notamment fiscale – avec d’autres cantons, et le reste du monde.


«Le canton a besoin de renouveler ses forces et ses atouts»

Pierre Maudet, ministre en charge de l’économie genevoise explique les raisons de son choix de créer une nouvelle direction générale du développement économique, de la recherche et de l’innovation (DGDERI) et de nommer à sa tête le genevo-soleurois de 43 ans, Nicholas Niggli.

Le Temps: La création d’une 6e direction générale au sein du Département de la sécurité et de l’économie ne vise-t-elle pas à biffer le Service de la promotion économique de Genève (SPEG)?

Pierre Maudet: Au contraire, la décision de créer la DGDERI équivaut surtout à une montée en puissance. Alors que le SPEG s’est largement consacré à l’élaboration de la stratégie économique 2030, il s’agit maintenant de s’atteler à son déploiement, communiquer offensivement nos ambitions et s’assurer du maintien sur la durée de la cohérence de la vision. La DGDERI se situe au carrefour entre la mise en œuvre opérationnelle et la réflexion stratégique.

– Vous intégrez la recherche et l’innovation au développement économique, dans quel but?

– Le contexte économique global exige un renouvellement des atouts et forces de Genève. Nous vivons une quatrième révolution industrielle, nous ne savons pas encore clairement comment se dessine l’économie de demain. Des tendances apparaissent, mais sont-elles durables? Pour apporter les bonnes réponses et un support décisif comme dans le cas de Firmenich, il faut investir massivement dans la recherche, dans l’innovation. Genève n’échappe pas à ce principe. Le mouvement est déjà en marche, le Campus Biotech et nos incubateurs en sont les fers de lance.

– Pourquoi avoir choisi une personnalité issue de la diplomatie internationale plutôt qu’un entrepreneur à la tête de cette nouvelle entité?

– Nicholas Niggli dispose à la fois d’une compréhension approfondie des rouages du secteur public, d’une connaissance opérationnelle des enjeux économiques qui s’appliquent aux sociétés suisses et d’un regard acéré sur notre environnement économique en constante mutation. Il a par ailleurs développé à Londres une expérience approfondie des partenariats publics-privés, de la nécessité de liens étroits entre recherche fondamentale, recherche appliquée et le monde de l’entreprise, ainsi que des mécanismes de montée en puissance des start-up, ce dont j’ai pu me rendre compte moi-même lors d’un déplacement l’année dernière dans la City.