Google et Apple soupçonnés de double jeu avec les cookies publicitaires
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Google décrète la fin des cookies tiers, ces fichiers créant des profils publicitaires des internautes. Selon un expert, cette décision lui permettra d’accroître sa domination sur le marché des annonces. Apple est lui aussi sur la sellette

C’est à première vue un débat truffé de termes techniques et d’acronymes, tels que cookies, FLoC ou encore IDFA. Mais en toile de fond, l’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit du pistage permanent des internautes sur leurs téléphones et leurs ordinateurs à des fins publicitaires. Mercredi, Google a réaffirmé son intention d’en finir avec les cookies, ces fichiers qui sont des aspirateurs à données personnelles. Mais derrière cette promesse séduisante, le géant californien, qui a gagné 145 milliards de dollars avec la publicité en 2020, est accusé par des experts de double jeu. Apple, lui aussi engagé dans une bataille contre le pistage, est aussi soupçonné de viser d’autres objectifs.
Commençons par la base de tout, les cookies. Ces fichiers, présents dans votre navigateur web, se nourrissent de tout ce que vous faites en ligne pour créer votre profil. Il en existe deux types. Il y a les cookies propriétaires, créés par un seul site pour aider son visiteur, par exemple en maintenant sa connexion active ou en sauvegardant son panier d’achat. Il y a aussi les cookies tiers, créés notamment par Google et Facebook, qui suivent l’internaute partout où il va pour créer son profil publicitaire le plus précisément possible.
Promesse de Google
Après l’avoir suggéré depuis des mois, Google a insisté cette semaine sur sa volonté de supprimer ces prochains mois les cookies tiers au sein de Chrome, son navigateur web. Chrome détient, au niveau mondial, 63% du marché des navigateurs – sa part est de 40% en Suisse, selon la société de recherche StatCounter: c’est donc une annonce majeure. «Nous déclarons explicitement qu’une fois les cookies tiers supprimés, nous ne créerons pas d’autres identifiants afin de suivre les individus lorsqu’ils naviguent sur le web, et nous ne les utiliserons pas non plus dans nos produits», écrivait sur le blog de Google mercredi David Temkin, haut responsable de la société chargé de la publicité.
Pourquoi une telle annonce? Sur son blog, Google, détenteur de 52% du marché publicitaire mondial en ligne, affirme que les internautes ne veulent plus être pistés. Mais il y a d’autres raisons. «La pression des autorités de régulation devient de plus en plus importante et la société prend les devants pour éviter de subir de nouvelles enquêtes. Google est aussi très opportuniste: il communique beaucoup sur la fin de ces cookies, alors qu’Apple les a déjà supprimés sur son navigateur Safari, et Firefox avait fait de même», analyse Blaise Reymondin, directeur d’une agence spécialisée en marketing numérique basée à Pully (VD).
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«Très intelligent»
Beaucoup de communication, donc, mais aussi des actes. Google veut remplacer les cookies tiers par des FLoC, pour «Federated Learning of Cohorts». Il s’agit de créer des groupes de personnes selon leurs intérêts, mais de manière anonyme: l’utilisateur n’est plus identifié de façon individuelle, il est inséré dans une cohorte. «C’est très intelligent de la part de Google, poursuit Blaise Reymondin. L’année passée, la société ne parlait pas de ces FLoC. Mais lorsqu’elle a vu que des régies publicitaires concurrentes ont protesté face à la fin prochaine de ces cookies, elle a développé ces cohortes, qu’elle choisit de mettre librement à la disposition de ses rivaux, évitant ainsi le risque de nouvelles accusations pour pratiques anticoncurrentielles.»
Mais cette mesure, si séduisante soit-elle, risque de renforcer la position dominante de Google. En février, alertée par d’autres régies publicitaires, l’autorité britannique de la concurrence ouvrait une enquête contre la multinationale. Et des experts estiment qu’en maîtrisant le développement des FLoC, la société conservera un avantage majeur. Blaise Reymondin voit plus loin. «En réalité, Google n’a plus besoin des cookies tiers. La société sait déjà tout de vous lorsque vous utilisez un smartphone équipé de son système Android. Et souvent, vous vous identifiez avec votre compte Google sur votre ordinateur (avec par exemple Gmail ou Google Maps). Ces informations très précieuses sur vous, seule la société américaine peut les obtenir.»
Apple ira plus loin
Ce débat sur les cookies rejoint celui lancé par Apple sur l’IDFA, l’équivalent, grosso modo, des cookies sur ses iPhone. Dans une prochaine version de son système iOS, Apple demandera explicitement aux utilisateurs s’ils veulent que telle ou telle app crée un profil publicitaire d’eux. Cette annonce avait suscité la colère de Facebook, qui accuse la marque à la pomme de l’empêcher de vendre des publicités personnalisées.
«Là aussi, c’est très malin de la part d’Apple, analyse Blaise Reymondin. Cette société a tout à gagner dans ce combat, puisqu’elle ne tire quasiment aucun profit de la publicité. Sans le dire explicitement, la multinationale veut se différencier des «bad guys» comme Facebook mais aussi de Google, avec qui la compétition est plus évidente. Et je pense que ce n’est que le début, Apple va aller encore beaucoup plus loin dans sa lutte contre le profilage, afin de rendre ses produits plus attractifs encore.»
De son côté, Google n’a pas encore dévoilé ses intentions sur Android. Selon plusieurs sites spécialisés, la société pourrait imiter Apple, mais de manière beaucoup moins restrictive.