Technologie
Forte désormais de 2400 employés en Suisse, la multinationale américaine a présenté ses dernières innovations en intelligence artificielle et via le «machine learning». Elle ne cesse d’étendre son territoire, des smartphones à la santé, de la musique à la domotique

C’est un ordinateur qui compose lui-même un morceau de piano. C’est une machine qui reconnaît en direct le dessin réalisé par un humain. C’est aussi un téléphone qui détecte en permanence, sans être connecté à Internet, les chansons diffusées autour de lui. Cette petite cuisine, située au troisième étage de l’un des immenses bâtiments de Google à Zurich, est un symbole. S’y trouvent quelques-unes des innovations majeures que la multinationale développe au niveau mondial dans les domaines de l’intelligence artificielle et via le «machine learning». Mardi et mercredi, Google a montré à une quarantaine de médias européens ses avancées technologiques.
Ces progrès rapides, l’entreprise les réalise en partie en Suisse. Google comptait 2000 employés à Zurich en janvier, ils sont déjà 2400 en ce mois d’octobre et devraient être 5000 d’ici à 2021. C’est par exemple en Suisse qu’a été développé le système «Google Lens», présenté aux Etats-Unis le 4 octobre dernier. Le dernier smartphone de la marque, le Pixel 2, sera ainsi capable de détecter, via son capteur photo, des objets, des bâtiments ou encore du texte. Il pourra ensuite afficher des avis sur l’hôtel qui se trouve en face, indiquer le nom d’une fleur, traduire en direct le menu d’un restaurant ou donner le nom d’une œuvre d’art.
«Montre-moi ces photos…»
Ces nouveaux services apparaissent grâce au «machine learning», utilisé de manière intensive à Zurich. «Notre mission n’a pas changé: organiser l’information issue du monde entier. Mais cet objectif s’est compliqué vu la masse de données disponible», explique Emmanuel Mogenet, directeur de la recherche au niveau européen chez Google. Il poursuit: «Il y a quelques mois, l’équipe de Google Photo est venue nous voir: elle voulait rendre possible la recherche textuelle dans les photos, pour demander à son téléphone «montre-moi des photos de mon fils faisant du vélo». Grâce au «machine learning», nous avons réussi à créer ce service au sein des téléphones» – mais sans permettre au téléphone de reconnaître des gens dans la rue.
Le «machine learning», c’est, de manière schématique, faire avaler un maximum de données à un système informatique pour qu’il apprenne petit à petit à se débrouiller tout seul. «L’idée est de montrer des exemples à la machine, de la récompenser quand elle fait juste, pour qu’elle développe progressivement des capacités pour répondre elle-même à des questions et effectue des généralités», explique Emmanuel Mogenet. Google est ainsi capable de distinguer un chat d’un chien. «Et cela s’étend à tous nos services: nous pouvons effectuer des traductions en direct après avoir fait analyser à nos systèmes des sommes colossales de textes dans plusieurs langues. Gmail apprend à créer lui-même des réponses à certains e-mails. YouTube effectue des recommandations selon les goûts des utilisateurs. C’est sans fin et nous n’en sommes qu’au début.»
Détecter des lamantins
Le système de reconnaissance manuscrite par la machine a aussi été développé à Zurich, où Emmanuel Mogenet compte 150 ingénieurs – «ils sont plus de 1000 au niveau mondial à faire de la recherche», précise-t-il. Google met à disposition son système pour des tiers. Des scientifiques l’utilisent pour détecter des lamantins dans l’océan. Des agriculteurs vérifient à distance l’état de santé de leurs vaches. Et Google, via son projet Magenta, laisse des machines jouer elles-mêmes au piano. «Nous ne savons pas où nous allons, nous effectuons des tests, avance Douglas Eck, qui travaille dans la division «Brain» de la société. Souvenez-vous, l’invention de la boîte à rythme a permis aux musiciens de se concentrer sur des éléments plus créatifs. Je ne dis pas que notre système va remplacer les musiciens: je vois plutôt cela comme une collaboration.»
Mais l’explosion de l’intelligence artificielle suscite des inquiétudes grandissantes. Google affirme ne pas y être insensible. Il a lancé cet été le programme PAIR, pour «People + AI Research», destiné à effectuer un contrôle humain sur ces technologies. Fernanda Viégas dirige cette équipe: «La technologie n’est pas neutre et il faut éviter que les biais humains ne se retrouvent dans les machines. Par exemple, si vous soumettez à un ordinateur des photos de scientifiques, vous n’allez peut-être lui montrer que des hommes. Cela peut créer des biais considérables pour nos systèmes et nous œuvrons, au sein de Google, pour les éviter.»
Etablir un diagnostic
L’intelligence artificielle risque aussi de faire perdre une partie du contrôle à l’humain. Emmanuel Mogenet se veut rassurant: «Je pense que nous allons collaborer avec les robots et qu’ils permettront aux plus faibles d’entre nous d’être au niveau des autres. Prenons aussi le domaine de la santé: jamais une machine ne fera une consultation, car je veux, en tant que patient, parler à un médecin humain. Par contre, la machine sera nettement meilleure que lui pour établir un diagnostic, domaine dans lequel l’homme n’est aujourd’hui pas très bon.»
Le chercheur affirme que des équipes de Google font aussi actuellement du «reverse engineering»: «Nous voulons comprendre comment la machine parvient à certaines conclusions. Il est capital de maîtriser totalement les systèmes que nous créons. Nous y arrivons et ce sera toujours le cas, je suis extrêmement confiant.»
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Un quartier entier de Zurich
Google n’a plus rien à voir avec ce qu’il était en 2004 à Zurich, lorsque deux employés ouvraient le premier bureau en Suisse. Aujourd’hui, la Suisse demeure le centre de recherche le plus important hors des Etats-Unis et il n’y a aucune chance que cela change à moyen terme. Zurich compte aujourd’hui 2400 «Zooglers» (de 85 nationalités), soit 400 de plus qu’au début de l’année. En janvier, la multinationale avait présenté ses projets d’expansion dans la ville, des projets qui se concrétisent dans les délais.
Ainsi, plusieurs bâtiments, situés à quelques dizaines de mètres de la gare principale de Zurich, sont finis ou en voie de l’être. D’ici à 2020, voire 2021, la ville devrait compter environ 5000 collaborateurs dans plusieurs endroits. Juste à côté de la gare, qui constitue la nouvelle base centrale pour Google, mais aussi dans les anciens locaux de la brasserie Hurlimann, où se trouvent par exemple toujours les employés développant YouTube – il s’agit de l’équipe spécialisée en vidéo la plus importante hors des Etats-Unis.
A Zurich – Google n’a pas d’autre présence en Suisse – se trouvent également des équipes travaillant sur la recherche, Google Assistant, la publicité, les cartes, le calendrier ou encore Gmail et des services de traduction.
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Maîtriser les appareils, un pari risqué
Quelle est la seule société qui maîtrise tant les logiciels que les appareils? Apple, bien sûr, qui conçoit les iPhone et contrôle entièrement son système d’exploitation. De plus en plus, Google tente d’imiter son concurrent. Le point culminant a été atteint le 4 octobre dernier, lorsque la société a présenté deux nouveaux smartphones Pixel, un casque de réalité virtuelle, plusieurs assistants personnels pour la maison et même un appareil photo automatique à porter autour du cou. Pour Google, développer des logiciels, des applications pour smartphone et son système d’exploitation Android ne suffit plus. Il ne veut plus dépendre de constructeurs tiers (Samsung, LG, Sony…) qui défendent aussi leurs propres intérêts, et intégrer le mieux possible matériel et logiciels.
C’est ainsi que le futur smartphone Pixel 2 de Google, attendu dans plusieurs semaines en Suisse, sera le seul à détecter en permanence, même hors ligne, 70 000 chansons. Il intégrera aussi le service Lens, mêlant images issues de la réalité et surcouche numérique. En septembre, Google déboursait 1,1 milliard de dollars pour acquérir une partie de HTC, le fabricant taïwanais de smartphones, avec le but de produire davantage de smartphones lui-même. Mais ce ne sera pas facile. «La plupart des programmes «hardware» de Google, tels Motorola ou Nexus, ont échoué, rappelle Neil Mawston, directeur de la société de recherche Strategy Analytics. Il est difficile pour lui de passer de développeur de logiciels à fabricant d’appareils.» Selon l’analyste, moins de 2 millions de Pixel seront vendus au quatrième trimestre – «pour l’heure, c’est un produit de niche, vendu cher dans peu de pays».
Deux mille employés d’un coup
Analyste auprès de la société GlobalData, Avi Greengart est un peu plus optimiste: «Google investit des milliards de dollars en recherche et engage les ingénieurs de HTC pour créer une ligne complète de produits. C’est le signe que pour la société, le contrôle du matériel est stratégiquement important.» Et pour Avi Greengard, Google est cette fois-ci sérieux. «HTC lui permet d’acquérir très rapidement beaucoup d’employés qui travaillent déjà ensemble et qui ont déjà développé des produits pour Google. Cette nouvelle division sera basée à Taipei, ce qui évitera à Google de prendre le risque de perdre la plupart de ces 2000 employés.»