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L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) refuse de communiquer les résultats des études faites sur la base des données des téléphones mobiles envoyées par Swisscom. Un manque de transparence qui contraste avec les rapports que publie Google

Google plus transparent que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)? La question semble à première vue absurde, tant la multinationale américaine fait souvent preuve d’opacité sur ses pratiques. Et pourtant. Le 25 mars, Le Temps révélait que l’OFSP avait demandé à Swisscom de l’avertir lorsque plus de 20 téléphones se trouvaient dans un espace de 100 mètres sur 100. Pour quels résultats? Pour détecter quels comportements? Et pour en tirer quelles conclusions? Impossible de le savoir. Tant l’OFSP que Swisscom, qui appartient à 51% à la Confédération, sont muets à ce sujet.
Le but de cette récolte de données entamée il y a plus de six semaines est de détecter si des attroupements ont lieu de manière illégale. L’OFSP voulait savoir si la population respectait l’interdiction de rassemblements de plus de cinq personnes dans l’espace public, à savoir les places publiques, les promenades et les parcs, comme le stipule l’article 7c, alinéa 1 de l’ordonnance 2 Covid-19. Pour ce faire, Berne utilise un service commercial de Swisscom, baptisé Mobility Insights. En se basant sur les mouvements de plus de 6 millions de cartes SIM de ses clients, l’opérateur est capable de fournir de nombreuses informations sur les flux de personnes. Tout en assurant l’anonymat de ses clients.
«A usage interne»
Contacté à plusieurs reprises ces derniers jours, l’OFSP a opposé une fin de non-recevoir aux demandes du Temps pour connaître la qualité des informations qu’il reçoit, en différé de vingt-quatre heures, de Swisscom. Berne se refuse ainsi à dire si des attroupements trop importants ont été constatés ou s’ils ont augmenté ou diminué ces dernières semaines. «Ces informations sont à usage interne, répond un porte-parole de l’OFSP. Il ne s’agit pas pour nous d’effectuer un travail de surveillance ou de police. D’ailleurs, nous ne communiquons aucune information aux autorités. Ce sont aux polices locales, le cas échéant, de prendre des mesures si des attroupements trop importants sont constatés sur l’espace public. Par ailleurs, les données n’appartiennent pas à l’OFSP, mais à Swisscom.»
Certes. Mais un office de la Confédération recevant des données d’un opérateur de téléphonie mobile lui-même encore contrôlé par l’Etat ne devrait-il pas simplement dire ce qu’il a pu observer ces dernières semaines? «Non, il n’y a pas d’obligation dans ce sens. Nous prévoyons toutefois de publier davantage d’informations dans le courant des prochains jours», poursuit le porte-parole. Silence aussi du côté de Swisscom: «L’OFSP est un client comme un autre de notre service Mobility Insights, comme l’ont par exemple été plusieurs communes pour mesurer le trafic routier. Libre à chacun de nos clients de communiquer ou non ensuite ces informations», affirme une porte-parole de l’opérateur.
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Un zoo… fermé
Le 27 mars, l’OFSP s’était contenté de publier deux informations. La première était un graphique montrant qu’il y avait moins de déplacements tant en Suisse que dans le canton du Tessin. La seconde était un set de cartes montrant, via des carrés de couleur, une affluence tombant à zéro entre le 1er et le 22 mars au zoo de Zurich. Cela semblait logique: comme l’écrivait l’OFSP, le parc animalier avait été fermé le 14 mars…
Que pense le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence du silence de l’OFSP? «Vu que les visualisations des carrés de 100 mètres sur 100 définis par Swisscom ne permettent que des estimations approximatives du nombre de ses abonnées qui pourrait s’y trouver, l’OFSP ne les met pas à la disposition du public. Je prends acte de cette décision», a répondu Adrian Lobsiger au Temps.
Question de confiance
Martin Steiger, avocat à Zurich et l’un des responsables de l’association Digitale Gesellschaft, estime que «l’OFSP devrait accorder l’accès aux informations susmentionnées conformément au principe de publicité, comme le stipule la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration. Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’une question relevant de la loi sur l’accès du public. Il s’agit avant tout d’une question de transparence et de confiance: si l’OFSP refuse l’accès à ces informations, la confiance sera perdue.»
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Pendant ce temps, Google, qui utilise les données de géolocalisation des téléphones (et non la triangulation des antennes, comme le fait Swisscom), publie chaque semaine ses «Community Mobility Reports». Des rapports hebdomadaires sur plus de 160 pays, dont la Suisse, qui permettent de connaître l’évolution de l’affluence dans les parcs, les gares et les magasins, mais aussi le pourcentage de fréquentation des lieux de travail. Pour la Suisse, Google met même à disposition des données canton par canton.