Un petit bâtiment entouré d’immenses baies vitrées, avec des parois transparentes à l’intérieur. C’est là que Huawei a installé, en fin de semaine passée, son nouveau centre pour la Suisse romande. Situé à Saint-Sulpice (VD), à un kilomètre de l’EPFL, ce site symbolise la volonté du groupe chinois d’étendre ses activités en Suisse. Sous pression maximale aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en France, car accusé d’espionnage à la solde de Pékin, Huawei active en Suisse tous les leviers de la communication pour s’attirer les bonnes grâces des autorités.

Parmi ces leviers, il y a d’abord l’imbrication dans le tissu économique et universitaire du pays. A Saint-Sulpice, les 20 employés sont en lien avec les clients (opérateurs et entreprises), mais aussi avec l’EPFL, ils effectuent des travaux de recherche et collaborent à des projets de standardisation. «La proximité avec les universités romandes est essentielle pour la poursuite de notre collaboration dans le domaine de la recherche. Elle nous permet également de contribuer davantage à la recherche fondamentale. De plus, dans le contexte de nos efforts de standardisation, nous nous rapprochons de Genève et des institutions d’envergure nationale qui s’y trouvent», affirme Moses Wang, directeur du centre de recherche de Huawei.

Poudre aux yeux?

Aujourd’hui, le groupe chinois, arrivé en Suisse en 2018, y emploie 300 personnes à Liebefeld (BE), Dübendorf (ZH) et Saint-Sulpice. Mais on semble loin des promesses affichées en août 2018, lorsque Doris Leuthard, alors cheffe du Département fédéral de la communication, avait rencontré à Shenzhen Eric Xu, directeur de Huawei. La multinationale avait alors évoqué des «investissements massifs» à Lausanne et Genève.

N’était-ce que de la poudre aux yeux? Patience, demande un porte-parole de Huawei: «Les investissements concernent notre nouveau centre de recherche qui a été créé fin 2019 à Oerlikon (ZH). Ce centre va employer à la fin de cette année environ 100 personnes et le recrutement de quelques centaines d’employés supplémentaires se poursuivra les années suivantes.» A proximité de l’EPFL, le nombre de collaborateurs pourrait passer de 20 à 30. Des annonces du même type ont récemment été faites en France et au Royaume-Uni.

C’est donc par petites touches, mais à grand renfort de communication, que Huawei se développe en Suisse. Pour quels projets avec l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne? «Nous conduisons de l’open science research [recherche scientifique ouverte, ndlr] avec l’EPFL, mais on ne peut pas donner des détails», répond le porte-parole. Par contre, il y a du concret (et du nouveau) avec les opérateurs. Huawei fournissait déjà Sunrise pour son réseau mobile et Swisscom pour une partie de son réseau fixe. Désormais, le groupe chinois vend aussi à Salt des équipements radio pour ses réseaux 3G, 4G et 5G.

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Difficile d’ignorer Huawei

Comment interpréter ces annonces? «Huawei propose les meilleurs produits au meilleur prix. C’est donc très difficile de les ignorer sur le marché des télécoms. Mais il y a un risque par rapport aux craintes d’espionnage. Je pense donc que l’intention d’installer un bureau en Suisse romande est de rassurer par rapport aux risques. Est-ce que cela suffira? Je ne sais pas», avance Steven Meyer, directeur de la société de sécurité informatique ZenData. Le spécialiste développe ces risques: «Cela peut être inquiétant de partager de la propriété intellectuelle avec Huawei, car, par le passé, cette société a été accusée de la voler. Il y a une crainte, justifiée ou non, que Huawei profite de son déploiement afin de faire de l’espionnage. Que ce soit intentionnel ou imposé par le gouvernement, c’est un risque réel.»

Pour l’heure, rien n’indique que la Confédération impose un boycott du groupe chinois, après le feu vert donné au printemps 2018. Pour l’empêcher, Huawei fait depuis des mois le forcing. En juillet, il citait une étude commandée à Oxford Economics pour évaluer l’impact d’embargos dans 31 pays, dont la Suisse. Verdict, si Huawei devait être banni de Suisse, il pourrait en résulter une perte totale de PIB entre 428 millions et 4,3 milliards de francs d’ici à 2035. En mars, la branche suisse du géant chinois avait offert 800 000 masques de protection à la Confédération.

Avec Miss Suisse 2006

Sans parler, pour son image publique, de l’utilisation des services de son ambassadrice Christa Rigozzi. Miss Suisse 2006 a accompagné plusieurs fois des responsables de la multinationale lors d’événements, notamment concernant les smartphones de la marque privés des services de Google. Sur ce plan-là aussi, Huawei doit effectuer un travail de conviction important auprès des consommateurs, pour leur montrer que ses propres services peuvent remplacer ceux du géant américain. Une conséquence, là aussi, de l’embargo américain.