Publicité

Les images de cadavres en Tchétchénie n'ont pas encore livré leur secret

Le journaliste Frank Hoefling a avoué qu'il n'était pas l'auteur du reportage contesté: il a été licencié. Selon le Kremlin, cette affaire démontre que les médias occidentaux couvrent de manière mensongère le conflit tchétchène

Les images étaient vraies, l'histoire était fausse: Frank Hoefling, correspondant de la chaîne de télévision allemande N24 à Moscou, a été licencié mardi avec effet immédiat pour un reportage sur la guerre en Tchétchénie. Depuis sa diffusion le 23 février, ce document a fait le tour du monde: on y voit le cadavre d'un rebelle tchétchène attaché à une corde et traîné par un camion. On voit ensuite des soldats russes décharger des corps, les jeter dans une fosse et les recouvrir de terre. Dans son texte d'accompagnement, Frank Hoefling sous-entendait que les corps pourraient être ceux de détenus du camp de Tchernokozovo et parlait également de séquelles de torture. La communauté internationale s'est émue de ces images: Javier Solana, coordinateur de politique étrangère de l'Union européenne, a immédiatement demandé la mise en place d'une commission d'enquête indépendante.

Après la diffusion du reportage, de nombreuses questions furent soulevées. Pendant une semaine, Frank Hoefling affirma que les images avaient été tournées en sa présence. Il s'était rendu le 22 février dans cette région et avait transmis le reportage le lendemain à sa rédaction. Rappelé d'urgence à Munich, il a dû pourtant avouer avoir acheté les images le 17 février à Oleg Blozkij, journaliste au quotidien russe Izvestia. Frank Hoefling a «enfreint toutes les règles élémentaires du journalisme et son comportement irresponsable a porté gravement atteinte à la crédibilité des médias occidentaux dans leur couverture de la guerre en Tchétchénie» a souligné la direction de N24 en annonçant son licenciement.

Le Kremlin s'est réjoui de cette affaire et ne s'est pas privé de l'exploiter (lire ci-dessous). Pour les dirigeants russes, ce reportage est une preuve de la couverture mensongère de cette guerre par les médias étrangers. Les images diffusées par N24 ne montreraient que le transport de rebelles russes tués lors de combats autour de Grozny.

La Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), actionnaire de N24, s'est interrogée sur le rôle joué dans cette affaire par les Izvestia. Le journal russe a monté plusieurs fois l'histoire en première page et s'en est pris violemment à l'instrumentalisation de ces images. «Le ton hargneux avec lequel le journal, considéré comme indépendant, reproduit les démentis du gouvernement russe a quelque chose d'étonnant», écrit la FAZ. Cela accréditerait la thèse que «le journaliste qui a tourné ces images a été mis sous forte pression par l'Etat».

La vente d'images de guerre est un véritable marché: pour améliorer leur maigre salaire, les journalistes russes revendent souvent des images qu'ils ont prises avec des moyens sommaires. Certaines télévisions occidentales ont été jusqu'à distribuer des caméras amateur à des soldats pour qu'ils leur ramènent des images du front. Oleg Blozkij a reçu quelque 550 dollars pour son travail. Avant de vendre les images à N24, il avait approché d'autres chaînes de télévision allemandes.

La presse allemande s'est demandée si la concurrence toujours plus vive entre médias électroniques n'était pas en fin de compte responsable de ce dérapage. N24, qui appartient au groupe Pro Sieben, n'existe que depuis quelques semaines. C'est la troisième chaîne d'informations en continu en Allemagne après N-TV et Phoenix. Le nouveau canal, qui ne peut être reçu que par 30% des foyers allemands, doit se faire connaître. Même si cette histoire a porté un coup à la crédibilité de l'ensemble des médias, notait ainsi la Süddeutsche Zeitung, N24 a en tout cas réussi à faire parler d'elle.